Soixante-trois centimètres : c’est la largeur du fauteuil roulant électrique de Kévin Fermine, 27 ans, dont la plainte pour «discrimination» envers la SNCF est mise en délibéré au Tribunal de grande Instance (TGI) ce jeudi à Toulouse. Atteint depuis sa naissance du syndrome de Little, une affection neurologique l’empêchant de conserver son équilibre, cet étudiant en droit se déplace en fauteuil roulant depuis son plus jeune âge. Un handicap qu’il juge «particulièrement insurmontable» lors de ses déplacements réguliers en train, notamment sur la ligne TGV Toulouse-Bordeaux-Paris, ou sur celle reliant Toulouse à Montpellier. Kévin Fermine demande 20 000 euros de dommages et intérêts à la SNCF. Et, surtout, qu’elle mette son matériel en conformité pour accueillir des handicapés.

Les photos publiées sur son compte Facebook permettent de se rendre compte des conditions «indécentes» auxquels il estime être confronté. Sa galère ferroviaire débute dès l’arrivée sur le quai. Faute de personnel suffisant et bien qu’ayant systématiquement réservé sur le site dédié, Kévin Fermine doit parfois se débrouiller seul pour franchir la porte d’accès à son train, dont les dimensions, hormis celles des rames les plus récentes, l’obligent à manœuvrer au plus serré.

«Humilié devant tous les autres passagers»

A l’intérieur de la rame, la largeur des couloirs l’empêche de faire demi-tour avec son fauteuil et de se déplacer à sa guise. Régulièrement, le peu d’emplacements réservés aux handicapés fait qu’il se retrouve «parqué» en plein milieu d’une allée avec vue sur les bagages. «Les autres passagers sont forcés de m’enjamber pour circuler dans le train. Je ne peux plus bouger du début à la fin du voyage. Je n’ai quasiment jamais accès à la voiture-bar. Je suis prisonnier de ma place parfois pendant les six heures que dure le trajet entre Toulouse et Paris. C’est particulièrement dégradant de voyager dans ces conditions.»

Le pire est à venir quand il lui faut aller aux toilettes, généralement inaccessibles, tout comme le wagon-bar. Et quand par chance il peut enfin atteindre les WC, la largeur trop exiguë de leur porte lui interdit d’y entrer avec son fauteuil roulant. Un jour de 2016, lors d’un voyage dans un «Intercités» entre Montpellier et Toulouse, Kévin n’a pas pu se retenir. «Je me suis uriné dessus. J’étais seul, humilié devant tous les autres passagers», se souvient-il. La SNCF a bien prévu des dispositifs d’assistance avec boîtiers et boutons d’appel ad hoc. «Sauf qu’ils ne fonctionnent pas toujours, notamment quand les contrôleurs les désactivent pour éviter les appels inopportuns de certains voyageurs non handicapés», pointe Kévin Fermine.

Après une première plainte classée sans suite devant le tribunal administratif, son avocat, Me Pascal Nakache, en a déposé une seconde, pour discrimination, devant le TGI de Toulouse. «En 2005, la loi handicap avait imparti à la SNCF un délai de dix ans pour être totalement accessible aux handicapés. En première instance, la SNCF s’est défendue en mettant en avant une ordonnance de 2014 qui a augmenté ce délai de dix ans, rappelle Me Nakache. Si on va dans ce sens-là, les handicapés en France peuvent s’asseoir sur la mise en accessibilité car il y aura toujours des rallonges. C’est une situation qui est totalement inacceptable !»

«S’abriter derrière une ordonnance pour s’abstenir de faire le minimum»

Un point de vue partagé par Odile Maurin, la présidente de l’association toulousaine Handi Social : «En 2005, la SNCF s’était engagée à ce que tout soit fini en 2015. Nous sommes très loin du compte. La nomination de Sophie Cluzel, la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées rattachée directement au Premier ministre, nous avait donné quelques espoirs parce qu’elle est maman d’une enfant déficiente intellectuelle et très engagée pour l’inclusion scolaire. Le problème, c’est qu’elle est en train de nous trahir sur ces questions d’accessibilité, et notamment sur la loi Elan qui va réduire de 90 % le nombre de logements accessibles. Sur les trains, les nouvelles rames TGV Océane permettent de rentrer quasiment de plain-pied avec l’aide d’un agent. Mais il manque toujours des places pour des personnes avec fauteuil. Et ça ne dérange personne.» Contacté par Libération, le cabinet de Sophie Cluzel n’a pas donné suite à notre demande d’entretien téléphonique.

Du côté de la SNCF, Carole Guéchi, la directrice accessibilité, ne «souhaite pas s’exprimer avant le délibéré» rendu ce jeudi au TGI de Toulouse. Kévin Fermine et son avocat sont «décidés à aller jusqu’au bout» : «Considérer qu’en France en 2018 la SNCF pourrait s’abriter derrière une simple ordonnance de 2014 pour s’abstenir de faire le minimum pour l’accessibilité des handicapés est scandaleux ! C’est un combat que nous menons non seulement pour Kévin mais [pour] l’ensemble des personnes handicapées qui partagent les mêmes difficultés.»

Jean-Manuel Escarnot Correspondant à Toulouse