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Carlos Ghosn : «Je trouve les résultats de Nissan et de Renault lamentables» - Le Parisien

Carlos Ghosn veut en découdre. Il ne reçoit pas chez lui, son domaine réservé, mais dans un hôtel très chic à quelques dizaines de mètres de son domicile. L'établissement est désert. Le Covid-19 et la crise sociale que traverse le Liban ont fait fuir les touristes. Concentré, l'ex-patron de Renault, très droit sur son siège, les mains serrées sur les accoudoirs, n'élude aucune question. Depuis sa fuite rocambolesque du Japon en décembre 2019, il prépare sa défense judiciaire et médiatique. Les formules, calibrées, semblent avoir été longuement affûtées.

L'ex-PDG de l'Alliance Renault-Nissan promet un « livre révélation » à l'automne et envisage de créer un site sur lequel il pourra s'exprimer librement. « Ceux qui ont organisé cette tragédie pendant plusieurs mois ont misé sur le vieil adage populaire Il n'y a pas de fumée sans feu en lançant de multiples accusations contre moi. Ils espéraient qu'une d'entre elles collerait. Pourtant, je vais démontrer qu'il y a de la fumée sans feu, comme quand on la fabrique au théâtre… »

L'homme qui parcourait le monde à bord de son jet privé depuis près de vingt ans ans pour Renault et Nissan vit entouré de gardes du corps, dans la crainte d'une agression, d'un enlèvement. Le tumulte de sa vie se confond avec celui du Liban. Le pays où il a trouvé refuge, en proie à la plus grave crise économique de son histoire, crie famine et vilipende la corruption de ses élites. L'ancien citoyen du monde, aux trois nationalités − libanaise, française et brésilienne − n'a plus de passeport. Les deux hommes qui l'ont aidé à fuir du Japon ont été arrêtés. Il est convoqué par un juge français et va devoir s'expliquer sur son train de vie. Les enquêteurs japonais et Nissan constituent méthodiquement leurs dossiers.

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Carlos Ghosn a toujours cultivé sa différence, sans complexe vis-à-vis de l'argent et l'establishment français. Il tacle l'actuel chef de l'Etat Emmanuel Macron, ex-ministre de l'Economie, et le conseil d'administration de Renault. « Ils connaissaient tout de moi, ma stratégie, ma personnalité », s'agace-t-il à propos du conseil. Ecran de fumée ?

Vous avez refusé de répondre à la convocation, le 13 juillet, d'un juge d'instruction à Nanterre. Pourquoi une telle défiance vis-à-vis de la France à qui vous reprochez sans cesse un manque de soutien ?

CARLOS GHOSN. Il ne faut pas tout mélanger. Mes avocats discutaient avec le juge d'instruction sur les conditions de cette audition depuis des semaines. Il y a un obstacle technique. Mon passeport est entre les mains du procureur général au Liban, car le Japon a émis un mandat d'arrêt international me concernant. Je souhaite aussi avoir la certitude que ma sécurité est assurée et que l'on me garantit une liberté de circulation.

Vous seriez autant protégé en France, qui n'a pas d'accord d'extradition avec le Japon, qu'au Liban...

Pour m'y rendre, je dois traverser d'autres pays. Personne ne peut m'assurer que le voyage se fera sans interruption, sans accident. Le juge pourrait, par exemple, me faire interroger à Beyrouth, où je suis prêt à répondre à toutes ses questions.

Qu'attendiez-vous de la France ? Son ambassadeur au Japon vous a apporté à vous et à votre épouse toute l'assistance nécessaire…

Le président Sarkozy, lui, avait fait sortir Florence Cassez, cette Française retenue au Mexique. Je ne peux que constater que je n'ai pas eu droit aux mêmes égards. L'ambassadeur nous a apporté l'assistance consulaire, excellente par ailleurs, qu'il aurait prodiguée à n'importe quel citoyen français au Japon. N'oublions pas que j'étais présent au Japon en tant que patron d'une grande entreprise française, missionné par l'Etat pour rendre pérenne l'alliance entre Renault et Nissan. Pour justifier cette passivité, on a dit « faire confiance » à la justice japonaise. Un système où la présomption d'innocence n'existe pas, où les droits de la défense sont bafoués, où le procureur menace de s'en prendre à votre famille si vous ne signez pas d'aveux! Une confiance qui n'est pas accordée, en revanche, et à juste titre, quand il s'agit de la garde d'enfants des couples mixtes franco-japonais.

Que sous-entendez-vous ? Que l'on ne vous considère pas vraiment comme français ?

Je ne suis pas naïf… Je n'ai pas fait l'ENA (NDLR : l'Ecole nationale d'administration), je n'ai pas les connexions habituelles du patronat français. Je n'appartiens pas à l'establishment. Je travaillais beaucoup et le peu de temps disponible, je le consacrais à ma famille. Le microcosme, à juste titre, ne me considérait pas comme faisant partie des siens.

« J’aimerais que l’on m’explique, si j’étais si mauvais, pourquoi on a renouvelé mon mandat en juin 2018. » /LP/Olivier Arandel
« J’aimerais que l’on m’explique, si j’étais si mauvais, pourquoi on a renouvelé mon mandat en juin 2018. » /LP/Olivier Arandel  

Lors de votre arrestation, la France a eu le sentiment de perdre l'un de ses plus grands patrons. Le bruit de fond a changé. Renault paierait aujourd'hui votre bilan caché, une course effrénée aux volumes, un échec sur le haut de gamme… Quelles responsabilités assumez-vous ?

Je suis fier de mon bilan, qui est connu de tous, des actionnaires, de l'Etat, des syndicats, de la presse… Entre 2005 et 2018, lorsque j'étais président et directeur général, Renault est passé d'une production de 2,3 millions de véhicules par an en 2005 à près de 4 millions en 2017. En treize ans, l'entreprise française est devenue un constructeur global, implanté sur des marchés d'avenir. Nous avons pris le contrôle de l'entreprise russe AvtoVAZ qui détenait la première marque russe Lada, nous avons doublé nos capacités de production au Brésil, nous avons construit l'usine de Tanger au Maroc, faisant de Renault la première marque en Afrique, etc. En 2005, Dacia, qui avait été racheté par Louis Schweitzer, mon prédécesseur, n'avait qu'un modèle. La marque déploie aujourd'hui toute une gamme et constitue un succès remarquable pour Renault.

On vous reproche d'avoir privilégié le volume au détriment des marges. Entendez-vous cette critique ?

Il n'y a pas de bon patron avec des résultats durablement mauvais, comme il n'y a pas de mauvais patron avec de bons résultats très longtemps. Les cinq dernières années de mon mandat sont les meilleures de l'histoire de Renault, aussi bien en termes de croissance que de profitabilité. Nous avions fait de Renault, dans le cadre de l'Alliance Renault-Nissan, le leader mondial de l'automobile en 2017 et 2018. Par ailleurs, les douze années de mon mandat se sont déroulées dans un climat de paix sociale sans précédent, alimenté par la signature avec les syndicats de plusieurs accords de compétitivité. Nous avions fait preuve de créativité, comme en témoignent les accords avec Nissan et Daimler pour produire dans les usines françaises des voitures à leurs marques. Lorsque je suis parti, un accord du même type était aussi en négociation avec Mitsubishi.

Avec vous, est-ce que Renault ne supprimerait pas de postes aujourd'hui ?

Je ne peux parler d'une situation que je ne connais pas. Vous évoquiez mon bilan…

L'automobile fonctionne par cycles. Les succès et les échecs du moment relèvent souvent de décisions prises quatre ou cinq ans plus tôt…

J'aimerais que l'on m'explique, si j'étais si mauvais, pourquoi on a renouvelé mon mandat en juin 2018, soit quelques mois seulement avant mon arrestation au Japon ? Le conseil d'administration, où siègent deux représentants de l'Etat, m'a demandé dans son ensemble de rester en place quatre ans de plus. Ils connaissaient tout de moi, ma stratégie, mon management et ma personnalité. Cela fait tout de même dix-sept ans que je suis à la tête de Nissan, treize ans de Renault et trois ans chez Mitsubishi ! Si j'avais été un « fou des volumes », on s'en serait aperçu non ?

C'était le mandat de trop ?

A 64 ans, j'aspirais à lever le pied. On m'a demandé de rester. Ma feuille de route était de rendre l'Alliance Renault-Nissan « indétricotable ». Et à l'époque, on pesait que j'étais le plus à même de le faire.

« Je considère que le comportement du conseil d’administration n’est ni très intelligent, ni très digne. »/LP/Olivier Arandel
« Je considère que le comportement du conseil d’administration n’est ni très intelligent, ni très digne. »/LP/Olivier Arandel  

Qui est derrière ce « on » qui vous a demandé de faire un nouveau mandat ?

Comme je vous l'ai dit, j'ai eu l'appui du conseil d'administration, qui compte des grands patrons, des représentants du personnel élus, le directeur de l'Industrie, celui de l'APE (Agence des participations de l'Etat) et d'autres membres éminents. Le ministre de l'Economie et des Finances, en étroite collaboration avec l'Elysée, m'a également demandé de poursuivre.

Vous reprochez à l'Etat français de vous lâcher une nouvelle fois ?

Je ne reproche rien à l'Etat français. Je considère que le comportement du Conseil d'administration n'est ni très intelligent, ni très digne.

Vous êtes un patron autoritaire que l'on n'osait pas contredire…

Etre clair et savoir prendre des décisions n'est pas de l'autoritarisme. Je respectais mes actionnaires, dont l'Etat, et la gouvernance de Renault qui était celle d'une entreprise moderne, cotée, avec des comités d'audit, de stratégie industrielle. J'avais autour de la table d'illustres représentants de l'Etat, dont Alexis Kohler, ancien directeur de cabinet d'Emmanuel Macron à Bercy et actuel secrétaire général de l'Elysée, qui représentait l'APE. Personne ne m'a jamais dit : « Monsieur Ghosn vous en faites trop. Calmez-vous sur les volumes! »

Vous n'avez donc pas été convaincu par l'Etat actionnaire ?

C'est un constat qui n'a rien d'idéologique, mais j'ai du mal à le créditer de la moindre réussite. Je trouve normal que l'Etat intervienne pour sauver l'emploi à condition qu'il se retire dès qu'il peut récupérer sa mise. Comme l'a fait l'administration américaine lors de la faillite General Motors et Chrysler en 2008. Je veux bien admettre son intervention dans des secteurs stratégiques. Dans l'automobile, cela n'a aucun sens. J'ai perdu beaucoup de temps à éliminer des suspicions, contrecarrer des manœuvres, calmer des hésitations, combattre les mauvaises idées… Quand vous recevez des leçons de bonnes conduites managériales de gouvernements qui ont du mal à boucler leur budget, c'est assez ironique. Je sais bien que l'Etat n'est pas une entreprise, mais, moi, si je ne boucle pas mon budget, on me fout à la porte. Cela fait une grande différence.

Etes-vous optimiste pour l'avenir de l'Alliance ?

De novembre 2018 à juin 2020, le cours de l'action GM a baissé de 12 %, celui de Toyota de 15 %. Nissan a accusé une chute de 55 % et Renault de 70 %. Tous ces constructeurs sont confrontés à la même crise du Covid, mais Renault et Nissan sont sanctionnés plus que les autres. Il y a un problème de confiance des marchés dans l'Alliance. Personnellement, je trouve les résultats de Nissan et de Renault lamentables. Chacune des deux entreprises se replie sur elle-même. Il n'y a plus de vraie mixité du management entre Renault et Nissan, mais une distanciation sournoise. Mon successeur chez Nissan, (Hiroto) Saïkawa, a eu le culot de louer les vieilles méthodes de management en cours avant l'ère Ghosn. Celles qui avaient conduit l'entreprise dans le mur. Une alliance pantouflarde n'a aucune chance de succès. Ma chute vient de l'obsession française d'une fusion dont Nissan ne voulait pas. Je pensais avoir trouvé avec la holding une issue acceptable par les deux parties…

« Si le salaire des patrons est un problème en France, il faut annoncer la couleur et fixer une limite. »/LP/Olivier Arandel
« Si le salaire des patrons est un problème en France, il faut annoncer la couleur et fixer une limite. »/LP/Olivier Arandel  

Vous dites que votre chute est liée à des choix industriels, mais ce que la justice japonaise vous reproche, ce sont des malversations…

Soyons sérieux ! Lorsque je suis arrêté en novembre 2018, avec une mise en scène digne du théâtre, c'est au sujet de la non-déclaration d'une rémunération non décidée et non perçue. On me proposait une rémunération après mon départ à la retraite, afin de me garder lié à l'entreprise, ceci n'était ni décidé, ni acté par le Conseil et encore moins payé !

Cette incrimination n'était pas infondée. Pour les mêmes faits, Nissan, l'un de vos collaborateurs et vous-même avez dû trouver un accord avec le gendarme américain de la Bourse, et payer une forte amende…

J'insiste sur le fait que nous parlons d'argent virtuel que je n'ai jamais touché. Bien qu'étant innocent, j'ai accepté, comme Greg Kelly et Nissan, de signer un accord afin de me concentrer sur ma défense au Japon et éviter une procédure qui m'aurait coûté dix fois plus cher en frais d'avocats.

PODCAST. Son arrestation, son évasion, son show… retour sur l'affaire Carlos Ghosn

Vous avez été arrêté en pleine crise des Gilets jaunes. Comprenez-vous que des Français soient choqués par un certain niveau de salaire ?

En France, un patron est un mal nécessaire. On n'aime pas ce qu'il représente, mais il est difficile de s'en passer. J'ai décliné une offre de General Motors – et je le regrette aujourd'hui – qui me promettait une rémunération plus élevée que celle que j'avais à l'époque. Je ne suis donc pas si cupide qu'on veut bien le laisser croire. Si le salaire des patrons est un problème en France, il faut annoncer la couleur et fixer une limite. Tous les ans, mes salaires étaient votés par le conseil d'administration. J'étais président et directeur général, je ne pense pas que la totalité des deux salaires de mes successeurs soient inférieurs au mien. Je ne le souhaite pas.

A côté du salaire, l'affaire Ghosn a mis au jour un train de vie, une résidence fiscale aux Pays-Bas, l'embauche de votre sœur au Brésil…

Le « greedy dictator », le patron avide, est l'invention d'un petit groupe à la tête de Nissan, qui avait même embauché sur les frais de l'entreprise trois agences de communication en France pour me discréditer ! On a feint de découvrir que j'étais résident fiscal au Pays-Bas. Je le suis depuis 2012. Lorsque j'ai voulu renforcer l'Alliance, j'ai considéré que je ne pouvais être ni résident français, ni résident japonais. J'ai opté pour les Pays-Bas, car mon prédécesseur y avait installé la holding Renault Nissan dès 1999. Ce transfert ne s'est pas fait en catimini. J'ai alerté l'administration fiscale de mes intentions, je les ai justifiées et j'ai subi un audit complet à l'issue duquel j'ai procédé à mon transfert. Je précise par ailleurs que je paie des impôts en France sur les salaires que je perçois de Renault, et au Japon pour ceux de Nissan. Quant à ma sœur, si elle a reçu des émoluments, c'est parce qu'elle a travaillé pour l'implantation d'une usine Nissan au Brésil.

Le faste, les appartements, le Brésil…

Je ne suis pas un mondain. On a monté en épingle les quelques éléments dans toute ma carrière qui tendraient à démontrer le contraire. Il y a eu deux événements à Versailles, l'un professionnel, l'autre privé. Pour célébrer les quinze ans de l'Alliance, j'avais convié des personnalités étrangères qui avaient contribué au succès de l'Alliance, madame Tony Blair, Trent Lott, (ancien) sénateur du Mississippi, qui nous a aidés à nous implanter dans cet Etat, Hinduja, notre partenaire en Inde, etc. Pour les étrangers, Versailles représente la grandeur française. Renault était mécène du château. Nous avions investi un million d'euros pour la restauration du Salon de la Paix, à la demande de Catherine Pégard, son administratrice. Elle m'avait proposé de mettre à ma disposition une salle pour un événement privé. Quelques mois plus tard, j'ai accepté pour les 50 ans de Carole, mon épouse. Cela n'a rien coûté à Renault, j'ai payé l'intégralité des frais de la soirée. Quelle ne fut pas ma stupeur en apprenant depuis ma prison au Japon que l'on m'accusait de ne pas avoir réglé les 50 000 euros de location de la salle. Renault ne les a jamais payés, puisqu'ils n'ont jamais été facturés ! Quant à Cannes, Renault en est le sponsor depuis bien avant mon arrivée dans le groupe…

VIDÉO. Carlos Ghosn s'explique sur sa soirée au château de Versailles

Les Japonais enquêtent sur des détournements de fonds qui auraient transité par le distributeur de Nissan à Oman pour alimenter des sociétés familiales…

Je nie tout cela ! Je vous signale simplement que le distributeur omanais soupçonné d'être impliqué dans ces prétendues malversations travaille toujours pour Nissan. Pensez-vous sérieusement que Nissan continuerait à travailler avec lui s'ils avaient le moindre doute sur son honnêteté…

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