Search

Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies : « On ne va pas régler le problème du climat en diminuant l'offre de pétrole » - Sud Ouest

Vous êtes venu à Mourenx inaugurer BioBéarn, la plus grande unité de méthanisation de France. Combien avez-vous de projets en cours ?

Nous comptons une dizaine de projets prêts à sortir de terre en France, dont un dans les Landes (à Bretagne-de-Marsan, mais l’investissement n’est pas encore validé, NDLR). Nous en avons aussi à l’étranger, au Texas et en Pologne.

La technologie utilisée à BioBéarn est reproductible, c’est l’aboutissement de quinze ans de recherche de Fonroche Biogaz, l’entreprise lot-et-garonnaise que nous avons rachetée en 2021. BioBéarn est le premier méthaniseur de taille industrielle que nous portons sous la bannière TotalEnergies. Il va contribuer à changer l’image de cette filière, que les gens associent souvent aux mauvaises odeurs et à des procédés artisanaux. Notre ambition est forte, nous voulons quasiment décupler notre production française de biogaz d’ici dix ans.

Sur le même sujet
Sur le même sujet

L’acceptation par les habitants est l’un des plus grands défis soulevés par l’implantation de ces méthaniseurs…

Il faut convaincre sur les territoires. Quand on réalise un projet au Texas, sur un ranch qui élève 20 000 vaches, cette seule exploitation suffit à fournir la ressource pour un très gros méthaniseur. En France, l’écosystème agricole est plus fragmenté. Réussir des projets de même ampleur nécessite de réunir une pluralité d’acteurs. Depuis que TotalEnergies et Engie s’intéressent à cette source d’énergie, les filières agricoles s’organisent. Nous pouvons également utiliser les déchets municipaux pour des projets de méthanisation. Les gisements sont appelés à se développer. La preuve avec notre bioraffinerie de La Mède (1). Nous pensions pouvoir trouver 50 000 tonnes d’huile usagée par an pour la faire tourner. Aujourd’hui, nous en sommes à 100 000, voire 150 000 tonnes.

Le potentiel français de biogaz est important. Nous sommes un grand pays agricole

Pourquoi le groupe TotalEnergies s’est-il lancé dans le biogaz ?

Nous sommes un grand acteur du gaz. Le biogaz est le pendant « vert » du gaz naturel. Or, il nous faut préparer la suite du gaz d’origine fossile. Nos clients nous le demandent pour verdir leur activité. Une compagnie maritime comme CMA CGM (2) a réduit ses émissions de CO2 de 30 % grâce à la propulsion de ses navires au GNL (gaz naturel liquéfié, NDLR). Elle regarde le biogaz comme un moyen de décarboner encore plus ses activités. Le potentiel français en la matière est important. Nous sommes un grand pays agricole.

Le PDG de TotalEnergies inaugure l’unité de méthanisation BioBéarn, à Mourenx (64) le 28 avril.
Le PDG de TotalEnergies inaugure l’unité de méthanisation BioBéarn, à Mourenx (64) le 28 avril.

David Le Deodic/ « SUD OUEST »

Le prix du baril de pétrole est retombé autour de 80 dollars. Pourquoi celui de l’essence ne baisse-t-il pas davantage ?

Il y a des taxes, dont une partie est évolutive. Sur 1,95 € le litre de carburant, vous payez environ un euro de taxes. Ensuite, il faut rappeler que le prix à la pompe est la somme du prix du pétrole et d’une marge liée au coût du raffinage. Du fait de la guerre en Ukraine, on a interdit les produits pétroliers russes, ce qui a désorganisé les marchés mondiaux. Résultat, les marges sur les produits raffinés sont restées à un niveau très élevé durant toute l’année 2022. Elles commencent à baisser.

Vous vous êtes engagé à maintenir le prix des carburants sous la barre des deux euros le litre dans vos stations-service. Pourquoi pas 1,90 € ?

Parce que nous achetons des carburants sur les marchés internationaux et que nous avons pris un risque. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui garantissent un prix plafonné sur leurs produits, quel que soit leur coût d’approvisionnement ! Nous n’étions nullement obligés de fixer cette limite à 1,99 €. Nous avons fait ce choix parce que les enquêtes d’opinion ont fait apparaître deux euros comme un prix bascule, au-delà duquel la dépense n’est plus acceptable pour les Français. C’est là une mesure de protection du consommateur. Nous avons fait un autre geste, sur l’électricité cette fois, en mettant en place un système qui alloue une prime (le bonus conso) à nos clients qui font l’effort d’économiser l’énergie. Plus de 50 % d’entre eux y sont parvenus. En retour, ils recevront 90 euros.

« Je veux bien arrêter des projets mais vous n’empêcherez pas les pays qui possèdent des gisements de les mettre en production »

Vous continuez d’engager des projets d’exploitation des énergies fossiles. Est-ce compatible avec l’accord de Paris sur le climat, qui incite à tout faire pour ne pas excéder un réchauffement de 1,5 °C ?

Nous respectons les objectifs fixés par la communauté internationale. Nous sommes d’accord sur le point d’arrivée en 2050, avec des hydrocarbures qui ne doivent pas représenter à cette date plus de 25 % de l’offre d’énergie mondiale. Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est quand on trace une ligne droite pour matérialiser la baisse des émissions de carbone entre aujourd’hui et ce point d’arrivée. Cette trajectoire est contradictoire avec la demande mondiale, qui continue d’augmenter.

On ne va pas régler le problème du climat en diminuant l’offre de pétrole, c’est une idée profondément fausse. Je veux bien arrêter des projets mais vous n’empêcherez pas les pays qui possèdent des gisements d’énergies fossiles de se tourner vers d’autres acteurs pour les mettre en production. Par ailleurs, s’abstenir d’exploiter de nouvelles ressources conduirait à une baisse de la production pétrolière de 4 à 5 % par an - et, corollairement, à une hausse des prix. Ceci est dû à la diminution inévitable de la pression dans les réservoirs exploités. Un champ pétrolifère n’est pas une usine qui conserve ses capacités à l’identique au fil du temps.

Certains de vos actionnaires vous demandent de réduire les émissions de gaz à effet de serre qui résultent de l’utilisation des produits que vous commercialisez – typiquement les carburants. Que leur répondez-vous ?

Nous sommes responsables des émissions de gaz à effet de serre qui résultent de notre activité, la production d’hydrocarbures. Pas des émissions qui correspondent à la consommation de ces hydrocarbures par nos clients. Ou plutôt, nous en sommes tous coresponsables, vous et moi. Les émissions d’un avion en vol, qui en porte la responsabilité ? La compagnie aérienne qui décide de les utiliser, pas TotalEnergies. Ou alors il faut considérer que le constructeur de l’avion en est lui aussi responsable. Pour revenir aux carburants automobiles, on pourra faire baisser les émissions indirectes de TotalEnergies si nous décidons de vendre d’un seul coup toutes nos stations-service. Mais un autre opérateur les rachètera. Il n’y aura aucun impact sur le climat.

Si nous décidons de vendre nos stations-service, un autre opérateur les rachètera. Il n’y aura aucun impact sur le climat.

Vous avez consacré 4 milliards de dollars aux investissements dans les énergies renouvelables en 2022, soit 25 % de votre investissement global. Pourquoi pas davantage ?

Nous accélérons énormément sur les renouvelables. On doit flécher chaque année 5 à 6 milliards vers nos unités de production d’hydrocarbures pour maintenir leur niveau de production et garantir leur sécurité. Cette somme retranchée, il reste 10 à 12 milliards pour les autres investissements. Aujourd’hui, un peu plus de la moitié de ce montant est consacrée aux énergies nouvelles et le reste au pétrole et au gaz. Nous sommes donc à 50-50 sur les nouveaux projets. Mais cette stratégie n’est pas qu’une question de dollars. Pour développer les énergies renouvelables, il faut constituer des équipes sur le terrain.

Faute de gaz russe, l’Europe s’est rabattue sur le GNL et s’équipe de terminaux méthaniers. Le continent ne va-t-il pas s’ancrer dans une nouvelle dépendance au gaz ?

Ce n’est pas vrai pour TotalEnergies. Je n’étais pas d’accord pour construire des nouveaux terminaux à terre, justement pour ne pas suivre un tel schéma. Nous nous inscrivons pleinement dans le cadre du Green Deal (le Pacte vert pour l’Europe vise la neutralité carbone en 2050, NDLR). Aussi avons-nous amené en Europe des terminaux flottants initialement positionnés dans d’autres régions du monde. Ils sont là pour répondre à une demande temporaire. Si elle baisse en Europe, ils partiront ailleurs.

Sur le même sujet
Sur le même sujet
Patrick Pouyanné visite le site de la Sobegi, à Lacq, dans le Béarn, à l’occasion de la journée mondiale de la sécurité sur les risques technologiques.
Patrick Pouyanné visite le site de la Sobegi, à Lacq, dans le Béarn, à l’occasion de la journée mondiale de la sécurité sur les risques technologiques.

David Le Deodic/ « SUD OUEST »

En 2022, EDF a essuyé des pertes historiques (17,9 milliards d’euros). Vous avez affiché un résultat net de près de 20 milliards d’euros. Dans ce contexte, n’est-ce pas étrange de vous voir bénéficier du mécanisme de l’Arenh (3), qui vous a permis d’acheter de l’électricité à EDF à un tarif très en dessous des prix de marché ?

Nous avons rendu l’intégralité du bénéfice de l’Arenh à nos clients. Et ce n’est pas TotalEnergies qui a inventé ce mécanisme, c’est l’État afin d’ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence. La vraie question consiste à savoir si l’Arenh a favorisé les investissements dans de nouvelles capacités de production électrique. De fait, nombre de fournisseurs alternatifs n’investissent pas, au contraire de TotalEnergies. Aussi suis-je favorable à une nouvelle formule qui obligerait ces fournisseurs à contribuer au renforcement des capacités électriques du pays, soit en contractualisant avec des producteurs, soit en investissant eux-mêmes. Pour notre part, nous pourrions acheter à EDF de l’électricité d’origine nucléaire à un prix fixe sur un contrat long. Ce qui aiderait EDF à investir dans le nouveau nucléaire. Si ce genre d’obligation pesait sur les fournisseurs alternatifs, ils contribueraient à accélérer la transition énergétique.

Vous aviez lancé en 2010 dans le Béarn un pilote industriel pour le captage et le stockage du CO2 dans le sous-sol. Seriez-vous prêt à développer ce procédé ici ?

Le captage-stockage du CO2 nous intéresse mais la question est de savoir si les gens acceptent qu’on stocke du CO2 en profondeur. Le Béarn est une région où les projets industriels sont plutôt bien accueillis. Pourtant, ça n’a pas été simple. Je me souviens avoir discuté avec un vigneron du jurançon qui avait du mal à accepter l’idée qu’il aurait un réservoir de CO2 sous ses pieds… À terre, nous risquons de nous heurter à des oppositions. Pour ces raisons, TotalEnergies part plutôt sur des projets de stockage du CO2 en mer, notamment en mer du Nord où on dispose d’anciens gisements et d’aquifères salins (des formations géologiques de roches poreuses qui abritent des nappes d’eau souterraines, NDLR).

TotalEnergies n’est pas chargé de dire le bien et le mal.

TotalEnergies opère dans des pays qui ne sont pas des modèles de démocratie. Comment vous déterminez-vous par rapport à cette réalité ?

Si la communauté internationale décide des sanctions contre un pays dans lequel on travaille, on les applique. Pour le reste, TotalEnergies n’est pas chargé de dire le bien et le mal. Si nous pouvons poursuivre notre activité selon nos standards, nous le faisons. Sinon, nous partons, comme en Birmanie. Nous ne nous substituons pas aux États pour déterminer si un pays est fréquentable.

Sur le même sujet

Vous continuez d’importer en Europe du GNL issu du complexe de Yamal, en Sibérie. Jusqu’à quand ?

Nous ne pouvons pas mettre fin unilatéralement à ce contrat. Si nous décidions de ne plus prendre les volumes de gaz qu’il prévoit, nous serions quand même obligés de les payer à la Russie. Pour arrêter, il faudrait que les Européens adoptent des sanctions contre le GNL russe. Dès lors, nous serions fondés à invoquer la force majeure. C’est ce qui s’est produit sur le pétrole, pas sur le GNL. Comme quoi les Européens considèrent que le GNL russe n’est pas complètement inutile… Et là encore, si nous nous désengagions de Yamal, les Russes pourraient s’emparer du site. Cette possibilité reste d’ailleurs bien réelle en l’état.

(1) La première raffinerie d’agrocarburants de TotalEnergies qui a démarré en 2019, dans les Bouches-du-Rhône, après la reconversion du site.

(2) CMA CGM est un grand armateur français de porte-conteneurs.

(3) L’Arenh, ou Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, oblige EDF à revendre une partie de sa production aux autres fournisseurs au tarif fixe de 42 euros le mégawattheure. Il était très inférieur aux prix du marché en 2022.

Le pèlerinage dans le Béarn

Partout où il passe, le PDG de TotalEnergies est très attendu. C’était le cas vendredi dans le Béarn, où Patrick Pouyanné revenait sur les terres historiques de la société, dans le bassin de Lacq, pour une visite de la Sobegi (filiale à 100 % de TotalEnergies) consacrée à la sécurité et pour l’inauguration de BioBéarn. Située à Mourenx, cette unité de méthanisation est la plus importante de France. Patrick Pouyanné voulait signifier par sa présence le vif intérêt que son groupe porte au développement industriel du biogaz, une production d’énergie locale, décarbonée et réplicable en maints endroits du territoire.
En cette chaude journée, le patron de la plus grande multinationale française a accordé une heure d’entretien exclusif à « Sud Ouest ». Qu’il s’agisse de géopolitique de l’énergie, de la lutte contre le réchauffement climatique, des superprofits ou des rapports nord-sud, l’homme sait que son groupe est au carrefour des thèmes les plus clivants du moment. Il a la réputation d’avoir le verbe « cash » et offensif, et il la cultive.

Adblock test (Why?)

https://news.google.com/rss/articles/CBMiqAFodHRwczovL3d3dy5zdWRvdWVzdC5mci9lY29ub21pZS9lbmVyZ2llL3BhdHJpY2stcG91eWFubmUtcGF0cm9uLWRlLXRvdGFsZW5lcmdpZXMtb24tbmUtdmEtcGFzLXJlZ2xlci1sZS1wcm9ibGVtZS1kdS1jbGltYXQtZW4tZGltaW51YW50LWwtb2ZmcmUtZGUtcGV0cm9sZS0xNDk2NDcyNi5waHDSAQA?oc=5

Bagikan Berita Ini

Related Posts :

0 Response to "Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies : « On ne va pas régler le problème du climat en diminuant l'offre de pétrole » - Sud Ouest"

Post a Comment

Powered by Blogger.