
Les plateformes chinoises comme Shein et Temu sont dans le viseur de cette proposition de loi. - © ROMAIN LONGIERAS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Le gouvernement va soutenir une proposition de loi visant à lutter contre la mode jetable. Mais les associations écologistes s’interrogent sur les critères qui seront pris en compte et la portée réelle du texte.
Le gouvernement est bien décidé à agir contre « l’ultra fast fashion » et les dégâts environnementaux qu’elle provoque. C’est ce que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a annoncé ce 4 mars devant un parterre d’acteurs de la mode durable et du textile made in France.
« Nous sommes passés de 2,8 milliards de vêtements neufs achetés en France en 2022 à 3,3 milliards en 2023, a constaté le ministre. Ce qui correspond à plus de 48 vêtements par an et par habitant. Or, cette hausse n’est pas liée à des changements de nos habitudes. On n’a pas subitement décidé de changer de tee-shirt chaque jour en milieu de journée. »
Dans le même temps, les grandes enseignes du prêt-à-porter traversent une crise sans précédent. Camaïeu, Pimkie, Kookaï, Naf Naf ou encore San Marina ont fermé boutiques. Pour les acteurs du secteur, les responsables de la situation s’appellent Shein et Temu, plateformes chinoises symbolisant l’« ultra fast fashion ». Autrement dit, la fast fashion en pire : plus de 7 000 nouveaux modèles mis quotidiennement en vente, des prix défiant toute concurrence, des conditions de fabrication toujours plus polluantes.
Une pénalité pour les entreprises les plus polluantes
Face à ce phénomène qu’il juge « inquiétant », Christophe Béchu a indiqué que le gouvernement soutenait la proposition de loi initiée par la députée Anne-Cécile Violland (groupe Horizons). Ce texte, qui vise à « réduire l’impact environnemental de l’industrie textile », comporte trois dispositions : d’abord, renforcer l’information et la sensibilisation du consommateur sur l’impact environnemental de la mode éphémère ; appliquer une pénalité aux entreprises dont les productions sont les plus polluantes ; enfin, interdire la publicité pour les marques et entreprises de la fast fashion.
La proposition va être discutée cette semaine par les députés au sein de la commission du développement durable, avant d’être examinée le 14 mars prochain en séance publique. « Je ne pensais pas qu’une loi comme ça existerait de mon vivant. » Julia Faure, présidente du collectif En Mode climat et fondatrice de la marque Loom, met beaucoup d’espoir dans ce texte. « Aujourd’hui, sept vêtements sur dix sont du low cost. On est face à une quasi-hégémonie de la mode à bas coût », a-t-elle rappelé.
« La fast fashion ne se limite pas à Shein »
Cependant, des interrogations demeurent chez les ONG qui défendent une mode plus responsable. Tout d’abord, qu’entend-on par « fast fashion » ? « Le texte du groupe Horizons propose de définir et pénaliser la fast fashion mais se cantonne à un seul critère, celui de la rotation rapide des modèles », déplore Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre France.
Selon lui, d’autres critères doivent être pris en compte, comme les quantités mises sur le marché, les prix trop bas ou encore les promotions. « La fast fashion ne se limite pas à Shein, c’est aussi et surtout des enseignes qui vendent des quantités astronomiques de vêtements, telles que Primark, Kiabi, Décathlon ou encore Action. »
La coalition Stop fast fashion à laquelle participent Les Amis de la terre et sept autres ONG plaide pour qu’un malus soit appliqué à toutes les marques qui commercialisent plus de 5 000 nouveaux modèles de vêtements par an, et pas uniquement celles qui en mettent plus de 1 000 par jour sur le marché.
« Rendre réellement dissuasif l’achat de certains produits »
Par ailleurs, « nous n’avons eu aucune information sur le soutien ou pas du gouvernement à un malus fortement dissuasif sur la fast fashion », note Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France. Christophe Béchu ne s’est en effet pas attardé sur l’article 2 de la proposition de loi. Celui-ci prévoit une trajectoire progressive aboutissant à une pénalité maximale de 10 euros par produit en 2030. Mais renvoie à un arrêté pour fixer à quel rythme on arriverait à ce montant et à qui ce malus s’appliquerait. Pour la coalition, la pénalité maximum doit être plus élevée : 100 % du produit hors-taxe ou 20 euros maximum « de façon à rendre réellement dissuasif l’achat de certains produits » aux prix très bas.
Axèle Gibert, chargée de la gestion des déchets au sein de France Nature Environnement (FNE), regrette, quant à elle, que la question du plastique ne soit pas plus abordée : « Plastique et textile sont intimement liés. Le textile est devenu le débouché de nos déchets plastiques. On décycle nos déchets plastiques dans les vêtements car la plupart des plastiques ne sont pas recyclables pour leur usage initial. » Pour elle, il faut encadrer l’utilisation du plastique non réutilisable.
Lire aussi : Ces marques de vêtements qui refusent la fast fashion
Les choses se jouent aussi au niveau européen, estime Julia Faure. Or, un accord peine à être trouvé sur la directive européenne sur le devoir de vigilance, calquée sur la loi déjà en vigueur en France suite au drame du Rana Plaza, au Bangladesh. Ce texte vise à rendre les marques responsables des scandales qu’implique la fabrication de leurs produits.
« On imagine bien qu’une telle réglementation pousserait les grandes enseignes à réfléchir à deux fois avant d’aller produire en Chine ou au Bangladesh, et favoriserait grandement les pays aux normes écologiques et sociales exigeantes, c’est-à-dire l’Europe en général, et la France en particulier », juge la responsable de Loom.
Affichage environnemental : encore un éco-score
Outre le soutien à la proposition de loi, Christophe Béchu a expliqué vouloir aller plus loin. « Avant la fin de la semaine, nous présenterons la méthodologie sur l’affichage environnemental », a-t-il précisé. Objectif : lancer la consultation publique à la mi-mars pour la publication du décret à partir de mai. Les entreprises volontaires pourront alors commencer à afficher un éco-score sur leurs produits.
« C’est une bonne nouvelle, mais il était temps ! estime Pierre Condamine. Initialement, l’affichage devait être lancé au début de cette année. » Il ne sera sans doute pas obligatoire avant le 1ᵉʳ janvier 2025 désormais. Reste encore à savoir comment il prendra en compte les quantités produites et si ce critère, marqueur important de la mode jetable, sera assez pondéré par rapport aux sept autres critères envisagés pour l’affichage (consommation d’eau, durabilité, matières recyclées, microplastiques…).
Autre annonce de Christophe Béchu : le lancement d’une campagne de communication à l’adresse du grand public. Il souhaite reprendre le principe de la publicité sur la sobriété et les dévendeurs de l’Ademe, qui avait été fortement décriée par les commerçants en décembre 2023. « Mais le respect des critères sociaux et environnementaux est le critère qui compte le moins dans l’acte d’achat », constate Charlotte Soulary, au regard des résultats d’un sondage présenté par Harris Interactive.
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