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« Bruno Le Maire n'est pas crédible sur les 3% de déficit en 2027 », Christian Eckert (ex-secrétaire d'Etat au Budget) - La Tribune.fr

LA TRIBUNE - L'agence de notation Standard & Poor's a dégradé la note de la France vendredi soir. Comment interprétez-vous cette décision ?

CHRISTIAN ECKERT- Cette décision est logique compte tenu de l'incroyable différence entre les résultats budgétaires et les prévisions du gouvernement pour 2023. Avoir 20 milliards d'euros de déficit supplémentaire est relativement inédit. Malgré de nombreuses déclarations, je n'ai pas le sentiment que les remèdes ont été documentés. Une loi de finances rectificative aurait permis de préciser et documenter mieux les choses.

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Comment expliquez-vous un tel dérapage des finances publiques ?

Le gouvernement dit que c'est à cause de l'inflation plus faible que prévu. A court terme, l'inflation est une bonne nouvelle pour les finances publiques. Ce sont des recettes de TVA immédiates. La masse salariale permet d'augmenter le niveau des cotisations. Les dépenses sont plus facilement pilotables. Mais l'écart ne peut pas s'expliquer simplement par une inflation moins forte que prévu. S'agissant de la taxe sur les énergéticiens, elle était censée rapporter 12 milliards d'euros. Elle n'a rapporté que 600 millions d'euros.

En tant que secrétaire d'État au Budget pendant trois ans, je peux affirmer que nous avons accès à une actualisation très régulière des comptes publics. Je n'arrive pas à croire que le gouvernement ait découvert qu'il s'était autant écarté des prévisions de 2023. Le ministère des Finances possède des armées de fonctionnaires très compétents et des spécialistes pour ne pas faire des erreurs aussi grossières. Il y a un manque de transparence sur ce qu'il s'est passé en 2023.

Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a affirmé qu'il allait garder le cap sans austérité et hausse d'impôt pour parvenir aux 3% de déficit en 2027. Quel regard portez-vous sur cette position ?

C'est une position qui n'est pas crédible. Les agences de notation, le Haut conseil des finances publiques, la Cour des comptes ou la Commission européenne n'ont pas confiance à l'objectif de revenir en dessous d'un déficit de 3%. Sur la méthode, le gouvernement veut écarter toute hausse d'impôt. Ce n'est pas le gouvernement qui décide seul des lois de finances. La Constitution confie au Parlement cette mission régalienne. C'est pour cela qu'il y a des motions de censure.

La France va-t-elle échapper à une hausse d'impôt ?

Écarter les hausses d'impôt, c'est se priver d'un outil. Certaines entreprises ont fait des profils exceptionnels. Dans l'histoire fiscale de la France, il y a eu à plusieurs reprises des mesures exceptionnelles de prélèvement. Sur les distributions de dividendes ou les rachats d'actions, le président Macron avait entrouvert la porte sur une taxation. Le gouvernement a dit qu'il n'allait pas augmenter les hausses d'impôts mais il a doublé les franchises médicales.

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La proposition sur les rachats d'actions n'est-elle pas une mesure symbolique ?

Ce prélèvement peut apparaître comme symbolique mais il pourrait tout de même rapporter quelques milliards d'euros au Trésor public. Certaines entreprises rachètent leurs propres actions pour faire monter leur valeur nominale. A partir du moment où le gouvernement a décidé de ne plus taxer les dividendes, il n'y a pas de raison d'écarter une taxation sur les rachats d'actions. Le prélèvement forfaitaire unique (PFU, mis en place en 2017) a en partie plombé les recettes de l'État.

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La politique de l'offre, soutenue sous la présidence de François Hollande dont vous avez fait partie, à coup de baisse d'impôts est-elle responsable ?

Je veux rappeler que les finances publiques en 2017 étaient quasiment revenues à 3% de déficit et la sécurité sociale était quasiment à l'équilibre. Sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, il y a d'abord eu des baisses d'impôt excessives. Je pense à la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) et la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU). La baisse de l'impôt sur les sociétés aurait pu se faire à un rythme plus ralenti.

Des exonérations de cotisations considérables ont été menées à la suite de la crise des « gilets jaunes ». Ces exonérations doivent répondre au principe de compensation des recettes sociales par un un versement de l'État. S'agissant de la sécurité sociale, il faut reconnaître que la crise sanitaire a joué un rôle important sur la dégradation budgétaire.

Le gouvernement s'apprête à mettre en œuvre sa réforme de l'assurance-chômage et tailler dans les dépenses de santé. Quelles seraient les pistes d'économies à privilégier ?

Il est curieux de taper sur les dépenses d'assurance-chômage alors que l'Unedic est en excédent. On ne choisit pas souvent d'être au chômage pour être indemnisé de façon modeste. Je ne suis pas favorable à cette réforme. Sur les économies à faire, ce fut probablement les coupes qui ont fait échouer la précédente majorité sous Hollande à l'élection présidentielle de 2017, plus que la déchéance de nationalité ou la loi Travail qu'on lui a également reproché. Sur les dépenses de santé, je pense que l'on a fait beaucoup d'économies. Il faut savoir s'arrêter. Sur les arrêts maladie, on tape sur les malades. Il faut faire attention aux recettes. Entre les primes Macron, l'intéressement et la participation, ces revenus n'existent plus pour la sécurité sociale.

En revanche, il est possible par exemple de regarder le fonctionnement des collectivités locales. Il est important de revoir la dotation globale de fonctionnement (DGF). Quand j'étais au gouvernement, nous avions fait quelques propositions pour faire une réforme. Mais certains ont combattu cette révision du calcul de la DGF pourtant opaque, injuste et inégalitaire.

Les collectivités locales reprochent aussi à l'État la baisse de leurs ressources fiscales comme les impôts de production.

Quand j'étais à Bercy, je recevais régulièrement Geoffroy Roux de Bézieux, alors numéro deux du Medef. Il ne cessait de parler des impôts de production. Ces impôts sont désormais passés dans le langage courant. À force d'insister, le patronat a tout de même réussi à faire baisser ces impôts mais nous n'avons jamais touché à ce levier quand j'étais au gouvernement.

Le président Macron a tout de même réussi à quasiment supprimer la CVAE (la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Ce qui représente tout de même 20 milliards d'euros. La difficulté est le lien entre les ressources de ces collectivités et ces impôts. C'est le même problème pour la taxe d'habitation. Lorsque l'Etat affirme qu'il va compenser à l'euro près, il faut regarder comment cela évolue dans le temps.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand

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