
Le groupe Casino vient de signer avec le cybermarché britannique Ocado pour, notamment, aider sa filiale Monoprix à développer son activité d'e-commerce alimentaire. Plus précisément, l'enseigne s'adjoint les services d'Ocado pour bâtir d'ici deux ans puis opérer un entrepôt automatisé de dernière génération en région parisienne, mais également gérer son site e-commerce et optimiser la livraison du dernier kilomètre. Un joli coup pour les deux acteurs, qui pourrait rebattre les cartes de la livraison à domicile de courses alimentaires en France tout aussi efficacement qu’une arrivée d’Amazon Fresh.
Avec 1,27 milliard de livres sterling de ventes en ligne en 2016 (1,49 milliard d’euros), Ocado est le plus gros pure player d’e-commerce alimentaire au monde. Fondée en 2000 par trois anciens de Goldman Sachs (Tim Steiner, toujours aux manettes, Jonathan Faiman et Jason Gissing), la société n’a cessé d’innover pour surmonter les difficultés logistiques complexes que pose la vente en ligne de nourriture. 50 000 références, trois températures, une ségrégation stricte de certains produits et une mécanisation poussée… L’infrastructure bâtie par Ocado au fil des années dépasse de loin, et de leur propre aveu, celle des distributeurs traditionnels.
Chaque jour, ses trois entrepôts expédient un total de 1,7 million de produits. Dans le plus récent, mis en service fin 2016 à Andover, dans le sud du Royaume-Uni, un essaim de plusieurs centaines de robots prépare les commandes, accompagné de quelques humains (dont Ocado n'aura quasiment plus l'utilité dans son futur entrepôt d'Erith). IoT et machine learning sont à l’œuvre pour dispatcher les stocks et calculer les déplacements des robots, en intégrant bien sûr les dates de péremption des produits. A chaque instant, pas moins de 8000 éléments sont en mouvement. Et comme dans un essaim, si un robot rencontre une difficulté, ses voisins viennent l'aider. Le britannique se targue même de taquiner le plafond des capacités de calcul des ordinateurs actuels et prévoit de passer un jour à l’informatique quantique pour faire tourner ses algorithmes. Plus prosaïquement, à Andover, préparer une commande de 50 articles ne lui prend plus que quelques minutes entre la réception de l’ordre de commande et son expédition, au lieu de deux à quatre heures chez un distributeur traditionnel. A l’arrivée, un niveau de service inégalé, que le consommateur perçoit en termes d’offre, d’interface, de non-substitution des produits, de rapidité et de ponctualité. C'est ce type d'entrepôt - et de niveau de service - que convoite Casino.
Ocado, qui depuis 2002 distribue les produits de Waitrose, a franchi un nouveau cap en 2013 en signant avec un autre distributeur britannique, Morrisons, pour opérer son site marchand et sa logistique e-commerce. Toutefois, son cours de bourse décline depuis le début 2014. Certes, Ocado continue à faire progresser sa part de marché grâce à une croissance à deux chiffres, et ceci malgré l’arrivée mi-2016 au Royaume-Uni d’Amazon Fresh (que fournit… Morrisons). Mais ses actionnaires s’impatientent de le voir développer un relais de croissance perpétuellement imminent : l’international. Ne parvenant à nouer des joint-ventures avec les distributeurs du continent, Ocado a entrepris, il y a deux ans, de leur faire miroiter sa technologie. En France, toute la grande distribution a défilé dans ses entrepôts pour observer l'efficacité de son exécution et louer son degré d'automatisation comme l'informatisation de ses process.
La peur du loup
Sauf que jusqu’ici, aucun n’avait signé à part un distributeur européen resté anonyme, qui se contente de l’offre logicielle d’Ocado et continue de gérer sa logistique lui-même. Pourquoi tant d’hésitation à s’approprier les prouesses technologiques du prodige anglais, qui dispose d’une centaine de brevets et a investi des dizaines de millions de livres en R&D ? Parce que les retailers craignent de faire entrer le loup dans la bergerie. Adopter l’Ocado Smart Platform est en effet à double tranchant. L’infrastructure logistique est proposée avec des frais d’installation relativement bas et une facturation à l’usage, au nombre de commandes préparées par heure. Le distributeur partenaire a donc peu à investir au départ pour disposer d’une infrastructure de pointe, qu’Ocado se charge de maintenir et d’améliorer à la façon d’une plateforme cloud. Mais le jour où le retailer veut reprendre son indépendance, il se retrouve les mains vides et n’a plus d’opérations, Ocado conservant les machines, les process et les briques logicielles qui font tourner l’ensemble. Dans ce scénario, le britannique repart également avec toutes les données de l’activité et peut se lancer en propre ou s’allier avec un rival.
Cela n'a pas empêché Monoprix de faire tapis, qui confie donc à Ocado toute sa chaîne e-commerce : entrepôt, livraison et gestion des données clients. Il est vrai que plus le temps passe, plus la peur du loup s’estompe. On vient de le voir avec Auchan, qui n'a pas craint de s'allier avec Alibaba pour digitaliser ses enseignes chinoises, alors même qu’il est déjà le numéro 1 des hypers dans le pays. S’associer avec un champion de l’e-commerce pour dépasser la concurrence ? Essayer vaut sans doute mieux que d’avancer à pas de fourmi.
De plus, un tel partenariat semble très pertinent pour Monoprix. Tout d’abord, son e-commerce alimentaire n’est pas en avance. Ensuite, à l’inverse des autres enseignes de grande distribution hexagonales, il ne tire pas la majorité de ses ventes en ligne du drive, mais de la livraison à domicile. Ses clients, urbains, préfèrent recevoir chez eux leurs gros paniers hebdomadaires, réservant le retrait en magasin aux petites courses du quotidien. Chez Monoprix, le click&collect concerne surtout le textile.
Décentraliser ou mutualiser ?
Or tous le savent bien, l’équation économique de la livraison à domicile de courses alimentaires est difficile à équilibrer, même pour Amazon. Certains s’essaient au ship-from-store (Franprix via Cdiscount, Carrefour en parallèle d’Ooshop), mais l’offre est alors limitée à celle du magasin et le picking n’est pas toujours facile à absorber par l’équipe du point de vente. A l’inverse, un Auchandirect mise sur un entrepôt en proche périphérie de Paris pour livrer certes en six heures « seulement », mais sur un assortiment beaucoup plus large. Et côté drive, Carrefour a mis en place à Saint-Quentin-Fallavier, près de Lyon, une usine à bacs où il prépare, en amont, les commandes qu’il livre à la vingtaine de drives alentours. Entre décentralisation et mutualisation, chacun tente de se forger des convictions.
Pour sa part, Monoprix, qui historiquement livrait depuis ses points de vente, explore depuis bientôt deux ans un deuxième modèle logistique reposant sur des entrepôts, en l’occurrence celui de Gennevilliers (92), actif depuis le début 2016. A l’époque, l’enseigne indiquait que la mise en service d’autres centres de distribution e-commerce dépendrait du bilan de celui-ci. Les bénéfices clients de l’entrepôt, mises à part l’offre et la zone de chalandise étendues ? Des créneaux de livraison élargis, globalement un meilleur niveau de service (notamment pour les fruits et légumes qui ne sont pas passés de main en main), et des prix souvent inférieurs au Monoprix de quartier, qui permettent même à l’enseigne d’être bien plus proche en prix de ses concurrents que sur le carrelage. Ocado sait également faire du ship-from-store : il le déploie actuellement pour Morrisons dans les zones éloignées de ses centres de distribution. Mais étant donné les termes de son accord avec Monoprix, le français conforte manifestement son pari pour des entrepôts centralisés. Le groupe Casino indique en outre qu'OCado et lui "envisagent de développer, à terme, d'autres plateformes à proximité d'autres grands centres urbains".
Quant au britannique, son soulagement doit être à la hauteur du déclin de sa capitalisation boursière ces dernières années. La voie pour limiter sa dépendance à Waitrose et Morrisons commence à prendre forme, et il lui sera plus facile d’étoffer son portefeuille avec Monoprix dedans. Or se posent déjà d’autres questions. S’agit-il d’un partenariat exclusif en France et pour combien d’années ? Etant donné son ancrage en province, E.Leclerc ne voit pas d’intérêt à se positionner sur la livraison à domicile. Mais quelle sera la réaction des autres distributeurs tricolores, plus présents dans les grandes villes ? Enfin, jusqu’à la rentrée, les analystes n’excluaient pas qu’Amazon rachète Ocado pour accélérer son incursion dans l’e-commerce alimentaire européen. Quel sera le prochain mouvement de l’américain sur le vieux continent ?
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