Et de quatre. Les salariés d’Air France sont appelés à faire grève ce mardi pour la quatrième fois depuis fin février, dans un conflit qui se durcit et s’installe dans l’impasse. Une journée de mobilisation pour les salaires qui coïncide avec le début de la longue grève perlée à la SNCF, même si les syndicats de la compagnie affirment que la date avait été arrêtée depuis longtemps, sans concertation avec les cheminots. S’il ne s’agit pas d’une convergence des luttes, le calendrier social s’accorde ce mardi dans la convergence des dates. Les salariés d’Air France sont d’ailleurs appelés à d’autres arrêts de travail les 7, 10 et 11 avril.

Bénéfices. Réunis dans une intersyndicale regroupant les organisations de pilotes (le SNPL, majoritaire, Spaf et Alter), de personnels navigants (SNPNC, Unsa-PNC, CFTC, SNGAF) et au sol (CGT, FO et SUD), les grévistes campent sur leur revendication d’une augmentation générale de 6 %. Un simple «rattrapage de l’inflation» plus que légitime, selon eux, alors que leurs salaires sont bloqués depuis 2011. Les pilotes, qui détiennent la clé du conflit avec leur capacité à clouer les avions au sol, réclament même 4,7 % de plus pour arriver à une revalorisation de leur rémunération de l’ordre de 11 %. Les syndicats estiment qu’après plusieurs années d’efforts de productivité imposés par la direction, durant lesquelles ils ont joué le jeu d’une grande modération salariale afin de ne pas aggraver les pertes de la compagnie, le retour aux bénéfices en 2017 a changé la donne. Une répartition des fruits de la croissance, qui s’est déjà traduite dans d’autres compagnies, comme l’allemande Lufthansa, par de substantielles augmentations pour les pilotes au terme d’un mouvement social de trois ans qui aura coûté plusieurs centaines de millions d’euros à l’entreprise. «Je crains que ce mouvement ne dure et coûte fort cher», a mis en garde il y a quelques jours Philippe Evain, le responsable du SNPL à Air France, qui avait consulté début mars les pilotes sur le principe d’arrêts de travail pouvant dépasser six jours, approuvé à 71 %.

Pour la direction, qui estime à 25 millions la facture de chaque jour de grève avec près de 25 % des vols annulés, céder à la revendication «pas réaliste» des grévistes reviendrait à hypothéquer gravement l’avenir de la compagnie, dont la rentabilité demeure nettement inférieure à celle de ses concurrentes. Elle a chiffré à 240 millions d’euros le coût d’une telle mesure, qui viendrait s’additionner aux 200 millions déjà accordés pour 2018 : 1 % d’augmentation générale, 1,4 % de hausses individuelles pour les personnels au sol et un accord d’intéressement qui représente 20 % du résultat d’Air France, soit 130 millions d’euros à répartir avec, à la clé, un bonus de 2 % par salarié. Au total, a-t-elle calculé, l’augmentation de la rémunération sera ainsi en moyenne de 4,5 % en 2018. Pas question donc d’aller plus loin, encore moins de rogner sur les investissements (1,3 milliard d’euros prévus cette année comprenant l’embauche de 250 pilotes et 1,7 milliard l’an prochain) en acceptant que l’essentiel des 590 millions de bénéfices de 2017, les meilleurs de l’histoire de la compagnie, soit absorbé par des hausses de salaires. «Pour distribuer de la richesse, il faut d’abord l’avoir créée», a résumé Franck Terner, le PDG d’Air France. La marge opérationnelle de la compagnie atteint 4 % là où elle est à 9 % à Lufthansa et KLM et 12 % à British Airways.

Lors de la troisième journée de grève, vendredi, la mobilisation n’avait guère faibli chez les navigants avec 31 % de grévistes chez les pilotes et 28 % pour les hôtesses et stewards. Elle était en revanche de moins de 10 % au sol, selon la direction, un chiffre en forte baisse.

Brèche. Dans un conflit en plein enlisement - les pilotes ont quitté la dernière séance de négociations après seulement quarante minutes de discussion -, la stratégie de division syndicale sur laquelle avait dans un premier temps misé le directeur des ressources humaines, Gilles Gateau, a échoué. Cet ex-conseiller de Manuel Valls à Matignon entendait s’appuyer sur la CFDT, seul syndicat représentatif avec la CFE-CGC à avoir signé l’accord de février sur les salaires, pour créer une brèche dans le front syndical.

L’écart grandissant entre le taux de pilotes grévistes et celui des personnels au sol pourrait-il finir par favoriser un découplage des négociations, comme l’escompte la direction ? Cette hypothèse a jusqu’ici été mise en échec par le bureau du SNPL, qui joue à fond l’union intersyndicale avec les autres catégories de personnels. En plus de la nouvelle journée de grève déjà prévue samedi, les syndicats s’inquiètent que la direction d’Air France «ne semble pas prendre au sérieux la détermination des salariés et de l’intersyndicale», annonçant de nouveaux arrêts de travail pour les 10 et 11 avril. Alors que les positions se figent, la direction a réaffirmé son ouverture au dialogue. Mais miser sur l’épuisement des troupes ne fait pas une stratégie, d’autant moins quand la mobilisation ne faiblit pas.

Christophe Alix