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Vrai, faux ou flou : le tour des arguments sur la grève de la SNCF

Les cheminots ont commencé, lundi 2 avril, une grève en pointillé, qui pourrait durer trois mois, pour protester</a> contre la réforme de la SNCF</a> lancée par le gouvernement.

Les débats</a> sont souvent vifs sur les questions liées au statut de cheminot, à la privatisation ou à l’avenir du réseau français, et chacun déroule ses arguments selon son point de vue. Nous avons tenté de décrypter</a> ce qui relève des faits, de la spéculation ou des fantasmes.

1. La SNCF va-t-elle être</a> privatisée avec cette réforme ?

Ce qu’on entend

Le conseiller</a> régional d’Ile-de-France</a> Julien Dray (Parti socialiste</a>) a accusé, dimanche 2 avril sur Europe 1, le gouvernement de préparer</a> la privatisation de la SNCF :

« La réforme, c’est la privatisation du service public demandée par l’Europe</a> (…). C’est une privatisation rampante. C’est le changement de statut qui va permettre</a> à terme la privatisation. (…) Moi je vous</a> dis [que] le gouvernement prépare la privatisation. »

Un argument récurrent ces derniers jours, repris par Attac France, par le député de La France insoumise Eric Coquerel, ou encore par Jean Messiha, membre du bureau national du Front national</a>.

CE N’EST PAS DANS LA RÉFORME, MAIS…

La réforme voulue par le gouvernement ne prévoit pas de privatiser</a> la SNCF, mais d’en changer</a> le statut. Alors qu’elle est actuellement un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), le projet</a> prévoit d’en faire</a> une société anonyme (SA) à capitaux publics avec des titres qui seraient incessibles. Pour faire simple, la SNCF restera une société à fonds publics, mais des opérateurs privés concurrents pourront faire circuler des trains à leur tour.

Il est donc faux, en l’état, d’affirmer que le gouvernement va privatiser la SNCF. « Personne ne parle de privatiser la SNCF », assure d’ailleurs la ministre chargée des transports</a>, Elisabeth Borne. Mais il est vrai qu’elle ne peut pas s’engager pour les gouvernements à venir</a>.

Par ailleurs, des directives européennes imposent aujourd’hui aux pays membres de libéraliser</a> leur secteur ferroviaire. Ces directives ont été adoptées par les gouvernements européens, y compris français, et par les eurodéputés. Le quatrième « paquet ferroviaire », qui trace les contours de l’ouverture à la concurrence, a ainsi été adopté fin 2016 par le gouvernement socialiste de l’époque.

2. La réforme va-t-elle entraîner</a> la fermeture de 9 000 km de petites lignes ?

Ce qu’on entend

La réforme de la SNCF va-t-elle conduire</a> à la suppression des liaisons ferroviaires non rentables ? C’est en tout cas ce qu’estime Olivier Besancenot, du Nouveau Parti anticapitaliste. Face à Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, dans « L’Emission politique</a> » sur France</a> 2 le 15 mars, l’ancien candidat à la présidentielle a critiqué les suppressions à venir de lignes régionales. Il a également publié en parallèle sur Twitter</a> une carte des « petites lignes que la SNCF veut supprimer » qui correspondrait à « un tiers du réseau », soit environ 9 000 kilomètres.

CE N’EST PAS DANS LA RÉFORME, MAIS…

D’où vient cette crainte, qui agite beaucoup les usagers ? Du rapport remis par Jean-Cyril Spinetta avant même la présentation de la réforme. Un chapitre consacré au « paradoxe des petites lignes », explique que les lignes classées en catégorie UIC 7-9, qui représentent un tiers du réseau (soit 9 252 km sur 28 772), ne voient passer</a> que 13 trains par jour en moyenne, avec moins de 30 voyageurs par train, et que ces dessertes coûtent « 1,7 milliard d’euros pour 2 % des voyageurs ».

Le premier ministre, Edouard Philippe, a pourtant assuré lors de la présentation de sa réforme qu’il n’était pas question de supprimer</a> des dessertes, et qu’il ne suivrait pas le rapport Spinetta sur ce point :

« La réforme de la SNCF n’est pas une réforme des petites lignes. On ne décide pas la fermeture de 9 000 km de lignes depuis Paris</a> sur des critères administratifs et comptables. »

En réalité, le rapport lui-même ne préconise pas de supprimer toutes ces lignes : plus subtilement, il propose de concentrer</a> les rénovations sur la partie la plus utilisée du réseau, et ensuite, si le maintien de la circulation n’est pas possible sur une ligne, et que l’investissement n’est pas économiquement justifié, de procéder</a> à sa fermeture – ou de la transférer</a> gratuitement aux régions concernées, qui prendraient alors la décision finale. Autre possibilité, évoquée par M. Spinetta : supprimer le train mais conserver</a> une desserte par bus.

Le gouvernement a donc raison d’affirmer que la réforme en cours ne va pas supprimer les petites lignes. La carte reprise par Olivier Besancenot, qui a largement circulé par ailleurs, ne montre pas du tout les lignes qui vont être fermées dans les prochaines années. Rien ne garantit, en revanche, qu’au moins une partie d’entre elles disparaissent à moyen terme, après l’ouverture à la concurrence des TER, comme envisagé dans le rapport Spinetta.

3. Peut-on résumer</a> ce débat au « coût » de la SNCF ?

Ce qu’on entend

Le « coût » de la SNCF pour les contribuables est l’un des arguments massue, repris notamment par le gouvernement ou par La République en marche (LRM), qui écrit sur son site Internet :

« C’est un service public qui coûte de plus en plus cher. Il coûte chaque année 14 milliards d’euros aux contribuables. C’est plus que le budget de la police</a> et de la gendarmerie réunies ! »

POURQUOI C’EST CONTESTABLE

Le système ferroviaire français a reçu environ 10,5 milliards d’euros de contributions publiques en 2016. LRM ajoute à ce chiffre les 3,2 milliards d’euros de subvention d’équilibre au régime de retraite SNCF pour parvenir</a> à une enveloppe globale d’environ « 14 milliards d’euros », ce qui est en effet un peu plus que le budget de la police et de la gendarmerie (12,8 milliards d’euros prévus en 2018). Certains calculs ajoutent également à ce chiffre les 3 milliards d’euros de déficit annuel du même régime de retraites.

Reste que ce raisonnement est assez grossier. D’abord, il faut rappeler</a> que les difficultés du régime des retraites de la SNCF sont d’abord dues à un déséquilibre démographique : seules six personnes cotisent à ce régime pour dix bénéficiaires, selon les chiffres de la commission des finances du Sénat.

Par ailleurs, les 10,5 milliards de contributions publiques hors retraites mélangent des choses bien différentes :

  • 5,5 milliards d’euros correspondent aux compensations versées par les autorités organisatrices des transports (TER, TET, Transilien…). Ce chiffre inclut notamment les tarifs sociaux accordés sous conditions ;

  • 3 milliards d’euros pour les subventions d’investissements d’infrastructure (1,7 milliard) et de matériel roulant (1,3 milliard) ;

  • 2 milliards d’euros pour les redevances d’accès au réseau.

Il est forcément réducteur de présenter</a> ces dépenses simplement comme des coûts, en occultant les bénéfices économiques et sociétaux qu’elles peuvent apporter</a>. Par exemple, les tarifs subventionnés permettent de faciliter</a> l’accès aux transports pour des publics souvent défavorisés, comme les demandeurs d’emploi</a> qui doivent se rendre</a> à un entretien d’embauche.

Pour aller</a> un peu plus loin dans ce débat, on peut également relever</a> que toute infrastructure de transports nécessite des investissements considérables. Les routes françaises coûtent, elles, plus cher encore que les trains (15,2 milliards par an, selon Routes de France, sans compter la signalisation ou les accidents de la route).

4. Avec l’ouverture à la concurrence, le train va-t-il coûter</a> plus cher ?

Ce qu’on entend

Les usagers s’interrogent sur les conséquences de l’ouverture à la concurrence pour leur portefeuille. Et des responsables politiques attisent leurs inquiétudes. Ainsi, pour Florian Philippot, président des Patriotes : « La libéralisation, ça veut dire</a> augmentation des tarifs pour les usagers. Je rappelle que quand on a libéralisé le gaz et l’électricité, les gens ont payé 70 % plus cher. »

Un argument également utilisé à l’extrême gauche, par Pierre Laurent, secrétaire général du Parti communiste français : « La concurrence ne sert à rien : elle va conduire à augmenter</a> les tarifs et à désorganiser</a> le service public. »

Erik Meyer, porte-parole du syndicat SUD Rail, affirme également, dans Reporterre : « Partout en Europe où le ferroviaire a été ouvert à la concurrence, le prix du billet a augmenté de 15 à 20 % et la qualité de service s’est dégradée », sans donner</a> la source de cette affirmation.

DIFFICILE À DIRE

Selon les défenseurs de l’économie de marché, la concurrence permet de faire baisser</a> les prix et d’augmenter la qualité. Mais ce principe ne fonctionne pas toujours pour des services qui nécessitent d’énormes infrastructures et dégagent d’assez faibles marges. Ainsi, les transports ferroviaires, qui étaient au départ privés, étaient déficitaires, c’est même pour cela qu’ils ont été nationalisés.

Comme l’ont détaillé nos confrères de France Info, Florian Philippot exagère quand il affirme que l’électricité et le gaz ont augmenté de 70 % – même si ces tarifs ont en effet grimpé depuis l’ouverture à la concurrence. Mais il est difficile de comparer</a> le marché de l’énergie (lié aux cours mondiaux du gaz et du pétrole</a>) avec un service de transport</a>, dépendant de l’offre et de la demande locale.

Le gouvernement lui-même ne s’aventure pas à promettre</a> des baisses de tarifs lors de l’ouverture à la concurrence. Elisabeth Borne préfère évoquer « de nouveaux services » et une « meilleure qualité ».

Les exemples européens d’ouverture à la concurrence ne permettent pas de tirer</a> de conclusion générale. Au Royaume-Uni, la libéralisation réalisée à marche forcée s’est traduite par une baisse de qualité des infrastructures et des conditions de transport. Le réseau a d’ailleurs dû être renationalisé, mais le service fourni par les opérateurs privés a plutôt du succès – ce qui n’a pas empêché le prix du billet de doubler</a> en dix ans. En Allemagne</a>, les experts</a> s’accordent à saluer</a> une réforme bien menée, qui a augmenté la qualité et la quantité de l’offre, mais pour un prix qui reste élevé.

En revanche, l’Italie</a> et la Suède</a> offrent plutôt l’exemple de réseaux où la libéralisation a fait baisser les tarifs, en augmentant la quantité de liaisons, mais au détriment de la qualité du réseau, voire de la sécurité.

Lire aussi :   SNCF : « L’ouverture à la concurrence ne garantit en rien une baisse des prix favorable au voyageur »

5. Y a-t-il des grèves chaque année à la SNCF ?

Ce qu’on entend

« Je ne sais pas s’il y a une culture</a> de la grève à la SNCF », a déclaré Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics, mardi sur France Info. Mais « pas une année parmi les 40-45 années précédentes n’a connu une année sans grève (…). Il y a une tradition de rapport de force, une tradition de conflit. »

POURQUOI C’EST DISCUTABLE

Selon les données compilées par la SNCF, des mouvements sociaux y ont bien été enregistrés chaque année depuis 1947. Il est donc juste de dire qu’il y a tous les ans des grèves dans le transport ferroviaire.

Mais derrière ce constat se cachent de fortes disparités : en 1981 ou en 2002, par exemple, on ne comptait qu’autour de 35 000 journées de travail</a> « perdues » lors de mouvements sociaux à la SNCF. Alors que ce chiffre a grimpé jusqu’à 4,7 millions en 1968 (avec cependant un nombre d’agents disponibles deux fois plus grand qu’aujourd’hui) ou 1 million en 1995.

Des grèves chaque année à la SNCF, mais pas toujours très suivies

Attention : ces chiffres bruts ne sont pas ajustés en fonction du nombre d'agents disponibles, qui a nettement diminué de 1947 à nos jours.

Si l’on rapporte ces journées de grève aux effectifs disponibles, on s’aperçoit ainsi que sur 71 années, il y en a eu 39 avec moins d’un jour de grève. On ne compte que douze mouvements de plus de deux jours depuis 1947, notamment en 1968, en 1995 ou en 2010.

Les agents SNCF font grève moins de deux jours par an en moyenne

Ce qui est vrai, c’est que les salariés de la SNCF ont plus souvent tendance à faire usage de leur droit de grève que l’ensemble des travailleurs français. La proportion de jours de grève y est environ dix fois supérieure à la moyenne des entreprises</a> publiques et privées, selon le ministère du travail.

Les grèves sont plus fréquentes à la SNCF qu'ailleurs

6. Cette réforme signe-t-elle la « fin du statut des cheminots » ?

Ce qu’on entend

Elisabeth Borne s’élève dans un « vrai/faux » publié sur le compte Twitter de LRM contre ceux qui affirment que la réforme signerait la fin du statut des cheminots :

« [C’est] faux. Tous les cheminots qui sont aujourd’hui à la SNCF garderont leur statut. (…) Avec une ouverture à la concurrence, (…) il y aura d’autres entreprises qui feront le même métier que la SNCF, [qui] ne peut pas être la seule à continuer</a> à recruter</a> au statut. »

POURQUOI C’EST VRAI ET FAUX

Ici, la ministre des transports joue sur les mots. Certes, elle dit vrai lorsqu’elle rappelle que les travailleurs actuellement embauchés sous le statut de cheminots n’en seront pas privés. Cela dit, il est tout à fait juste d’affirmer que le gouvernement met fin au statut de cheminot pour les autres, c’est-à-dire les futures recrues de l’entreprise.

Il est tout à fait approprié d’évoquer une fin du statut pour les nouveaux recrutements, qui programme de fait la disparition complète du statut d’ici plusieurs dizaines d’années, lorsque les cheminots en poste aujourd’hui auront tous quitté l’entreprise.

7. Emmanuel Macron est-il resté muet sur ce sujet pendant la campagne présidentielle ?

Ce qu’on entend

Beaucoup d’opposants à la réforme voulue par le gouvernement arguent du fait que contrairement à d’autres mesures, celle-ci n’avait pas été annoncée par le chef de l’Etat pendant sa campagne présidentielle. Attac France estime ainsi qu’elle n’a « aucune légitimité démocratique » car elle n’a « jamais été soumise au vote » des Français.

POURQUOI C’EST VRAI

Le chef de l’Etat n’avait effectivement pas pris position sur le sujet pendant la campagne présidentielle. Ainsi, on ne trouvait aucune mention des expressions « train », « SNCF » ou « cheminot » dans les 32 pages de son programme présidentiel. La partie « mobilité » de son programme sur son site de campagne mentionnait simplement un « plan d’urgence pour les investissements de rénovation » du rail et de la route, sans jamais évoquer</a> la situation de la SNCF.

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