«Très bonne assemblée générale, échange intéressant avec la salle.» C’est avec ces quelques mots et avec un sourire un peu crispé, qu’Alexandre Bompard a commenté, pour Libération, les trois heures d’assemblée générale des actionnaires de Carrefour, qu’il a présidé ce vendredi. Une séquence qui n’a pas été forcément de tout repos, même si l’intéressé ne s’est jamais départi de son calme ni de son sourire.

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Il faut dire que la réunion avait tout pour se dérouler de manière un peu agitée. A commencer par le choix de la salle. Un ancien entrepôt d’Aubervilliers, reconverti en hall de conférences et installé au milieu de studios de tournages. Les lieux sont plus habitués à accueillir des candidats de téléréalité que des sexagénaires, qui fournissent la majorité du public des actionnaires individuels. Le décor et l’environnement ont néanmoins l’avantage de faire moins clinquant et moins onéreux que le Carrousel du Louvre ou le Palais des congrès, habituellement choisis par le CAC 40 pour ce genre d’agapes.

«Transition alimentaire»

Il est vrai qu’avec 531 millions d’euros de pertes l’an dernier, un «package» de 17 millions versés au PDG sortant et des milliers de suppressions de postes au programme, Carrefour avait plutôt intérêt à jouer profil cheap. C’est justement ce à quoi s’est employé le nouveau boss de Carrefour dans son discours introductif. «J’aimerais vous dire qu’aujourd’hui Carrefour est à l’abri et ne risque rien et qu’Amazon n’est pas en train de changer le commerce. En réalité, des mutations sont en cours et Carrefour n’est pas armé pour les affronter. Seul 1% des 85 milliards d’euros de notre chiffre d’affaires est réalisé dans le commerce électronique. Et nous n’avons pas réagi face aux concurrents spécialisés.» Un tacle appuyé à son prédécesseur, Georges Plassat, et de quoi donner aux membres du conseil d’administration, assis au premier rang, le sentiment d’être dans leurs petits souliers, puisqu’ils ont validé sans broncher la stratégie précédente. Pour rompre avec le passé, Carrefour va changer non seulement son organisation mais aussi, ce qu’il propose dans ses gondoles. «La traçabilité dans neuf filières alimentaires, du bio pour 100% des fruits et légumes et d’ici 2025 aucun œuf de poule élevée en cage», a promis Alexandre Bompard qui s’est fixé un objectif : «Devenir leader de la transition alimentaire.»

Au-delà des questions stratégiques, le sujet des rémunérations a évidemment collé comme un sparadrap à cette assemblée générale. Bien qu’absent physiquement, Georges Plassat qui a abandonné la présidence de Carrefour, il y a moins d’un an, était omniprésent. Notamment au regard des 17 millions d’euros de prime, de salaire et d’actions gratuites prévus pour son départ et sur lesquels les actionnaires devaient se prononcer. Une centaine de représentants de la CFDT également actionnaires de Carrefour et vêtus de gilet orange se sont chargés d’ambiancer la salle. Sifflets et cris – «scandale !», «démission !» – sont venus ponctuer régulièrement les interventions d’Alexandre Bompard.

Hasard ou coïncidence, l’administrateur chargé de présenter le détail de la rémunération du sortant, Georges Plassat et de son successeur, Alexandre Bompard, n’était pas présent dans la salle. Il a enregistré son allocution en vidéo, ce qui permet de baisser les lumières pour la diffuser et d’éviter qu’il soit interrompu par les sifflets grandissants. Sans surprise la plupart des questions des actionnaires ont porté sur les émoluments du PDG sortant. Soucieux de ne pas froisser les administrateurs qui ont validé ces 17 millions, Alexandre Bompard n’a pas dévié pas d’un millimètre de ses éléments de langage non transparents : «Je n’ai pas de commentaires à faire sur la rémunération de Georges Plassat.»

Le jackpot de Plassat validé

La standing-ovation de la journée a été décrochée par un chef d’entreprise retraité : «Que risquez-vous si vous échouez ? J’ai été petit patron et si je n’obtenais pas de bons résultats, je n’avais rien. Je suis prêt à abandonner mon dividende pour qu’il y ait moins de suppressions d’emplois et je possède 290 actions.» Alexandre Bompard attend la fin de la salve d’applaudissement pour saisir la balle au bond : «Réinvestissez vos dividendes», suggère-t-il. Deux dames assises au milieu de la salle haussent les épaules : pas une bonne idée «avec les actions qui baissent».

Grâce aux boîtiers électroniques, le vote des vingt résolutions est expédié en moins de trente minutes. Toutes sont adoptées à plus de 80%, à l’exception de celle sur la rémunération de Georges Plassat qui n’obtient «que» 68,32% des suffrages. La résolution sur la rémunération d’Alexandre Bompard pour 2018 – 1,5 million d’euros de salaire fixe, jusqu’à 2,5 millions de part variable et 3 millions d’euros d’actions gratuites si les objectifs sont atteints – fait un peu mieux avec 73,87% des voix. La transition salariale est un chemin au moins aussi escarpé que la transition alimentaire.

Franck Bouaziz