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« Soit on bloque, soit on crève » : devant la raffinerie de Grandpuits, le ras-le-bol des agriculteurs

Devant la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne, le 11 juin 2018. Le groupe pétrolier prévoit d’importer jusqu’à 500 000 tonnes d’huile de palme par an, pour produire différents agrocarburants dans la bioraffinerie de la Mède (Bouches-du-Rhône). Le prix de la tonne de colza, largement utilisé aujourd’hui pour cette production, passerait de 340 euros à moins de 300 euros.

« On est prêts à tenir</a> un siège pour se faire</a> entendre</a>. » Devant les portes de la raffinerie Total de Grandpuits-Bailly-Carrois, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Paris, Guillaume Lefort, les traits tirés, garde le ton ferme que lui confère son statut de vice-président de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Seine-et-Marne.

Malgré la pluie qui tombe dru par intermittence, une centaine d’agriculteurs mobilisés par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont passé la nuit là, afin de bloquer</a> le passage des camions s’approvisionnant en hydrocarbures. Les salariés de la raffinerie, eux, peuvent rejoindre</a> librement leur poste de travail, guidés par les gendarmes postés aux abords de la départementale toute proche.

Comme dans treize autres raffineries et dépôts d’hydrocarbures en France, des agriculteurs d’Ile-de-France et d’Aube viennent protester</a> contre l’autorisation, délivrée à Total par le préfet des Bouches-du-Rhône le 16 mai dernier, de faire fonctionner dès l’été prochain la bioraffinerie de la Mède située à Châteauneuf-les-Martigues. Le groupe pétrolier prévoit d’y importer</a> jusqu’à 500 000 tonnes d’huile de palme chaque année, pour produire</a> différents agrocarburants.

La menace de l’huile de palme

En Seine-et-Marne, département constitué à 60 % de terres agricoles, réputé pour son sol limoneux profond et ses abondantes réserves d’eau, le projet apparaît comme une menace économique bien réelle. « Soit on bloque, soit on crève. Alors on peut faire ça encore longtemps », souffle Emmanuel Mathé, agriculteur à la tête d’une exploitation de 250 hectares près de Montereau-Fault-Yonne, dans le sud de la Seine-et-Marne.

Comme pour une majorité de ses collègues, la culture du colza représente entre 15 % et 30 % de ses rotations – 25 % de la surface agricole sur le département. L’arrivée d’une aussi grande quantité d’huile de palme en France, moins chère à produire et à importer, devrait bousculer</a> le marché des oléagineux et protéagineux utilisés pour les agrocarburants.

L’ouverture de la bioraffinerie de la Mède pourrait ainsi faire tomber</a> le prix de la tonne de colza de 340 euros à moins de 300 euros, selon une estimation commune aux deux syndicats. « On passerait d’une plante aujourd’hui rémunératrice à une nouvelle culture déficitaire. C’est un nouveau coup de bambou, et on ne va pas tarder</a> à craquer</a>. Cela fait trois années que je suis dans le rouge… », lance Olivier George, agriculteur de la Ferté-Gaucher, dans l’extrême nord de la Seine-et-Marne. « Trois ans ? Ah, bah tu me bats », rétorque avec ironie Emmanuel Mathé.

Devant la raffinerie Total de Grandpuits-Bailly-Carrois (Seine-et-Marne), le 11 juin 2018. La culture du colza occupe 25 % de la surface agricole sur le département de Seine-et-Marne. L’arrivée d’une aussi grande quantité d’huile de palme en France, moins chère à produire et à importer, devrait bousculer le marché des oléagineux et protéagineux utilisés pour les agrocarburants.

« Nous n’avons déjà pas de salaire »

A l’abri de la pluie de plus en plus importante, sous les tonnelles entourant les tracteurs, les agriculteurs s’avouent désemparés : « Nous n’avons déjà pas de salaire. Ce sont les revenus extérieurs de nos femmes qui nous font tenir nos exploitations. Des alternatives au problème de l’huile de palme ? Il n’y en a pas », affirme Olivier George.

Pour Guillaume Lefort, c’est le positionnement du gouvernement depuis les états généraux de l’alimentation qui provoque une incompréhension importante dans la profession :

« Le discours général envers les agriculteurs, c’est : “Vous faites mal les choses, donc on vous met plus de normes environnementales et sanitaires”. C’est audible, et je l’entends. Mais on m’annonce que des bateaux entiers de produits vont débarquer</a> en France, encadrés par des normes moins sévères que celles de la génération de nos parents, voire pire ? Ça ne passe pas. »

Lire aussi :   Huile de palme : « Pour une fois, écologistes et agriculteurs trouvent une forme de convergence des luttes »

Malgré l’annonce du ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, qui a affirmé lundi matin que le gouvernement « ne reviendra[it] pas » sur l’autorisation donnée au projet de La Mède, les manifestants comptent bien rester</a> plusieurs jours devant la raffinerie de Grandpuits-Bailly-Carrois. Même si la nouvelle de la levée du barrage devant la raffinerie des Bouches-du-Rhône, murmurée dans les rangs peu après 13 heures, semble décevoir</a> plusieurs agriculteurs : « dans le sud-ouest, ils cultivent moins de colza. Peut-être se sentent-ils moins concernés », suggère un membre des Jeunes Agriculteurs.

Arthur Courtier, le président du syndicat dans la Seine-et-Marne, pointe, lui, son doigt vers l’est pour prendre</a> du recul : « A une quarantaine de kilomètres, l’usine Saipol du Mériot achète près d’un million de tonnes de colza aux agriculteurs du coin. Vous imaginez les effets de la concurrence de l’huile de palme sur l’ensemble de la filière ? » Autour de lui, pas de réponses.

Sur une bâche noire, les agriculteurs ont inscrit un message désabusé, interpellant le ministre de la transition écologique : « Nicolas Hulot, tu nous fais la “Total”. »

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