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Sergio Marchionne : le patron qu'on adore détester s'en va

Si Lancia disparaît, c'est à cause de lui. Et si Chrysler semble à l'article de la mort, c'est encore à cause de lui. Pour mieux restaurer les finances du groupe italo-américain qu'il a construit en 2009, Sergio Marchionne a dû faire des choix. Forcément, ils ne recueillent pas l'assentiment de chacun.

Par exemple, Sergio Marchionne a choisi de ne plus déverser des millions d'euros dans la poursuite de cette chimère : imposer en haut-de-gamme la vieille marque italienne Lancia, trop longtemps sevrée de nouveaux modèles. Passe encore que les Lancia aient été des Fiat habilement rhabillées : les ingénieurs ont su tirer le meilleur parti de cette contrainte. Pour preuve, le modèle le plus fameux et le plus titré de l'histoire de Lancia — la Delta — devait beaucoup à la Ritmo de Fiat.

Ferrari et Maserati avant Fiat et Lancia

Non, ce que les amateurs reprochent à Sergio Marchionne, c'est d'avoir assassiné l'image de Lancia — perçu comme défenseur du raffinement à l'italienne — en apposant son blason sur des voitures américaines dont on ne pouvait pas ignorer la provenance. Criminel.

Le problème de Lancia, c'est qu'il vendait trop peu hors des frontières de son Italie natale, et quasiment rien hors d'Europe. Or, toute la stratégie de Sergio Marchionne pour "créer de la valeur" consistait à développer la présence du groupe FCA en haut-de-gamme et aux États-Unis. D'où la décision de tout miser sur un Maserati et un Alfa Romeo au nom et à l'image jugés plus porteurs et plus universels que ceux d'un Lancia trop régionaliste.

Il est loin le temps où Fiat était premier en Europe !

Si la gamme Fiat n'est plus que l'ombre d'elle même, c'est encore du fait des choix de Sergio Marchionne. A son arrivée à la tête du constructeurs italien, il y a quatorze ans, ce natif des Abruzzes parti dès l'adolescence vivre à Toronto découvre une gamme pléthorique, conforme à la vocation généraliste de Fiat. Trop de modèles qui ne rapportent pas grand-chose. En juin 2018, Fiat Chrysler Automobiles épongeait les dernières gouttes de sa dette qui pesait encore 7,7 milliards d'euros en 2014 : une réussite qui coûta quelques sacrifices à la branche italienne du groupe.

Sergio Marchionne s'est fait un nom en sortant du rouge les comptes de Fiat en moins de deux ans, dès 2006. S'il s'en était tenu là, la période des vaches maigres aurait été de courte durée. Car c'est à partir du moment où Sergio Marchionne décida d'unir les destinées de Fiat à celles de Chrysler que les finances manquèrent pour renouveler les modèles italiens. Priorité était donnée au redressement des marques Chrysler, Dodge, Ram et Jeep placées en redressement judiciaire.

Fiat dépend trop de la 500 et de la Panda

La dernière conséquence en date de cette décision est le retrait discret du catalogue de la Fiat Punto cet été, un modèle qui comme tant d'autres ne sera pas renouvelé. En 2012, au plus fort de la crise automobile, cette rivale des Renault Clio et Volkswagen Polo affichait déjà l'âge canonique de 7 ans. Difficile pour elle de tenir tête aux ténors européens du segment des citadines. Pourquoi tant d'attente ? D'abord, il fut décidé d'allouer les maigres moyens de Fiat au renouvellement de la mini citadine Panda. Ensuite, la mode naissante du SUV et du crossover fit passer le développement de la Fiat 500X avant le remplacement de la Punto. Aujourd'hui, la pente semble très difficile à remonter : faut-il développer une variante 5-portes de la Fiat 500 ? Ou bien viser le prix plancher et importer d'Amérique du Sud un modèle à bas coût ?

D'un autre côté, les amateurs de voitures italiennes savent gré à Sergio Marchionne d'avoir cru en le potentiel de la Fiat 500 ressuscitée. Déclinée à toutes les sauces, la 500 se confond aujourd'hui avec la marque Fiat qui n'est plus connue en Europe que pour sa Panda et ses véhicules utilitaires. Sur le segment de la Golf et de la Mégane, la Fiat Tipo ne fait que de la figuration. On est loin des années 1990, lorsque Fiat rivalisait avec Volkswagen et Renault sur les marches du podium européen.

A trop attendre, Alfa Romeo risquait dépérir

On arguera que Sergio Marchionne a déshabillé Fiat pour rhabiller Alfa Romeo. Mais c'est oublier que cette dernière a failli y laisser sa peau. Faute de moyens, la vieille firme milanaise a dû faire durer au-delà du raisonnable des modèles pourtant censés se mesurer au meilleur de l'industrie allemande. Née en 2010, la Giulietta ne voit pas arriver de descendance. Tandis que la petite MiTo quitte discrètement la scène après dix années de carrière, alors qu'Alfa aurait légitimement pu en faire une rivale de la Mini de BMW.

Là encore, il fallait faire un choix. Ne disposant pas des moyens de renouveler les Giulietta et MiTo, Sergio Marchionne a décidé de donner la priorité au développement de modèles plus ambitieux, plus rémunérateurs et capables de séduire sur le vaste marché américain. Bien nées, les Giulia et Stelvio relèvent un Alfa Romeo dont les ventes étaient tombées à leur plus bas depuis cinquante ans.

La relance de Chrysler s'est faite au détriment de Fiat

Les amateurs de voitures italiennes reprochent d'avoir dépensé les deniers de Fiat et d'Alfa pour voler au secours de Chrysler, Dodge, Ram et Jeep. En réalité, il y a fort à parier que si Sergio Marchionne n'avait pas uni les destinées de Fiat Auto à celles de Chrysler LLC, ni l'une ni l'autre ne seraient plus là aujourd'hui.

Il faut souligner le tour de force d'un patron visionnaire auquel il aura suffi de deux années pour ramener Chrysler à la rentabilité (début 2011) et pour rembourser aux gouvernements américain et canadien tout l'argent qu'ils lui avaient prêté afin de préserver l'emploi. Au début des années 1980, un autre patron de légende, Lee Iaccoca, avait accompli le même miracle.

A l'époque, l'instrument du redressement de Chrysler avait été le monospace et la petite berline ; aujourd'hui, ce serait plutôt le SUV et le gros pick-up. L'appétit des Américains pour ces véhicules imposants (et les marges confortables qu'ils génèrent) incite les dirigeants de Chrysler et de Dodge à déserter le marché des berlines et des petites voitures. Sur ce dernier, Fiat était supposé prendre le relais mais il peine à imposer ses 500 en Amérique du Nord.

FCA mise sur les SUV et l'électrification

Dans le monde entier, la mode est aux véhicules hauts sur pattes. Voilà une raison suffisante pour tout miser sur le développement de la gamme Jeep, et faire de ce constructeur américain la seule marque à vocation réellement universelle au sein du groupe Fiat Chrysler Automobiles. Le plan stratégique dévoilé le 1er juin 2018 affecte à Jeep la tâche de multiplier par un et demi sa capacité de production d'ici cinq ans, pour finir par vendre une voiture neuve sur cinq dans le monde. Pour ce faire, Jeep investira les segments du marché qui lui échappent encore : il ira concurrencer les Renault Captur, Peugeot 2008 et Nissan Juke avec un petit SUV inédit ; à l'extrême opposé de la gamme, on verra reparaître un grand SUV à sept places, baptisé Jeep Grand Commander. Il sera décliné en version à propulsion 100 % électrique en 2021 et devrait donner naissance à un dérivé pick-up pour contrer le Mercedes-Benz Classe X.

Des neuf marques du groupe Fiat Chrysler Automobiles, c'est Jeep qui connaît la réussite la plus éclatante. Diffusée dans le monde entier, la marque américaine représente 30 % des ventes de FCA, contre 32 % à Fiat. 15 % à Ram et 3 % à Alfa Romeo. Selon Morgan Stanley, Jeep devrait d'ailleurs représenter à lui seul près de 70 % des profits de FCA en 2018.

On disait le patron de Jeep sur la sellette depuis l'essoufflement des ventes en Europe et en Chine, mais c'est finalement lui qui succède à Sergio Marchionne, qui souffre de complications d'une opération à l'épaule. Sous la direction de Mike Manley, Britannique de 54 ans, Jeep est passé de 337.000 véhicules vendus en 2008 à près de 1,4 million en 2017. L'année 2018 devrait se terminer avec 1,9 million d'exemplaires.

Un Britannique de chez Jeep aux commandes de Fiat

Les fonctions de M. Marchionne chez Ferrari vont désormais être dédoublées : John Elkann (de la famille Agnelli) devient président, tandis que Louis Camilleri est nommé administrateur délégué. Né en 1955 dans une famille maltaise à Alexandrie (Egypte), M. Camilleri est entré en 1978 chez Philip Morris, et il est depuis 2002 le PDG de ce groupe très lié à Ferrari via le sponsoring de la Scuderia. La célèbre marque au cheval cabré, qui limite volontairement sa production pour maintenir son caractère exclusif, a réalisé en 2017 un chiffre d'affaires de 3,417 milliards d'euros (+10 %) et un bénéfice net de 537 millions d'euros (+34 %).

Il y a fort à parier que sous le règne de Mike Manley, les marques Jeep et Ram gagneront encore en importance au sein du groupe FCA. C'est autant d'argent en moins à consacrer au développement de Fiat, de Chrysler, de Dodge et, dans une moindre mesure, d'Alfa Romeo et de Maserati. Au début du mois de juin, Sergio Marchionne annonçait sa volonté d'investir 9 milliards d'euros entre 2018 et 2022 dans l'électrification des voitures de FCA. Objectif : offrir pas moins de douze systèmes de propulsion électrique pour animer 15 % à 20 % des modèles vendus d'ici à cinq ans. Mais ces objectifs restent mouvants. D'une part parce que Mike Manley voudra imprimer sa marque ; d'autre part parce que, ainsi que le rappelait Sergio Marchionne : "Il n'y a pas de réponse unique, pas de formule magique. Nous sommes confiants en notre savoir-faire et nous savons nous ménager toutes les options possibles."

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