Ce mardi, Bruno Le Maire s'est déclaré «ouvert à un report de l'entrée en vigueur» du projet européen de taxation des géants du numérique à «fin 2020», conformément à la position défendue par l'Allemagne. Les autres pays membres de l'UE avancent en ordre dispersé sur ce dossier.
La «priorité absolue» va-t-elle tourner au fiasco? Après s'être posé en fer de lance de la taxation des géants du numérique (les fameuses «Gafa», Google, Amazon, Facebook et Apple), Bruno Le Maire a tenu des propos bien plus modérés ce mardi matin, en sortant d'une réunion des 28 ministres des finances de l'Union européenne, à Bruxelles. S'il souhaite toujours qu'une directive européenne sur le sujet soit adoptée d'ici la fin de l'année, il s'est également déclaré «ouvert à un report de l'entrée en vigueur» du projet de taxation à fin 2020, conformément aux souhaits exprimés jusqu'ici par son homologue allemand, Olaf Scholz.
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Le ministre a justifié son changement de position en expliquant qu'il restait «des difficultés techniques à résoudre», et que la France restait donc «ouverte» à un report pour «laisser le temps à l'OCDE de faire une proposition plus complète». L'adoption de la taxation d'ici fin décembre reste toutefois une «ligne rouge» du gouvernement français, a ajouté Bruno Le Maire à Bruxelles. Le report ne concerne donc pour le moment que l'application du projet.
L'Ecofin a une nouvelle fois mis en exergue les divergences européennes, plusieurs pays étant toujours dubitatifs quant à l'utilité d'une «taxe Gafa». Le ministre danois des Finances, Kristian Jensen, a ainsi déclaré qu'il était «très difficile de voir un accord sur la taxe car de très nombreux problèmes techniques ne sont pas encore résolus». Selon lui, le projet européen entraînera «évidemment une réaction des États-Unis», et la taxe n'est «pas une bonne idée» pour l'économie de l'Union. De son côté, Olaf Scholz a demandé à la Commission de modifier son projet - projet soutenu par la France -, et a demandé à ce que sa mise en œuvre ne soit pas effective avant la seconde moitié de l'année 2020, si aucun accord mondial n'est trouvé d'ici-là.
Changement de ton
Hier soir, Bruno Le Maire rappelait pourtant que «la France veut une solution» d'ici la fin 2018. Toutefois, les ambitions françaises se heurtent aux réticences d'autres États membres de l'Union, dont l'Irlande, qui héberge les sièges européens d'entreprises comme Google et Facebook. L'Allemagne craint également que les géants du numérique ne fassent pression sur Washington pour faire évoluer la position de Bruxelles, attisant ainsi le conflit commercial entre les États-Unis et l'Union.
Paris et Berlin mènent, sur ce dossier, deux politiques divergentes. L'Hexagone défendait jusqu'ici la mise en place d'une taxe temporaire sur le chiffre d'affaires des Gafa, le temps qu'une solution soit trouvée à l'échelle mondiale au sein de l'OCDE. Cependant, la France semble isolée dans sa position, et se rallie petit à petit à la solution allemande: pour Angela Merkel, l'Union devrait attendre que l'organisation internationale travaille sur cette question et la solution européenne ne devrait intervenir qu'en cas d'échec des négociations. Paris semble désormais finalement s'aligner sur la position allemande.
Un revirement qui intervient alors que Bruno Le Maire, qui avait fait de cette question son cheval de bataille, défendait l'inverse depuis des mois: à Bruxelles, il avait justifié la solution européenne en déclarant que la solution à l'OCDE interviendrait plus rapidement si l'Europe avait adopté au préalable une «taxe sur le numérique». La Commission avait donc proposé en mars dernier d'instaurer une taxe de 3% sur le chiffre d'affaires généré par les services numériques des entreprises. Toutefois, seules les firmes dont le chiffre d'affaires mondial annuel serait supérieur à 750 millions d'euros et qui réaliseraient un revenu supérieur à 50 millions d'euros dans l'Union seraient concernées.
Désaccord européen
La proposition française est notamment soutenue par l'Espagne, qui souhaite instaurer, à l'échelle nationale, une taxe numérique de 3% pour certaines entreprises du secteur. De son côté, fin octobre, le Royaume-Uni a également proposé dans son projet de budget une imposition de 2% sur le chiffre d'affaires réalisé par les grandes plateformes numériques sur son sol. Introduit à partir d'avril 2020, ce nouvel impôt pourrait rapporter, selon le ministère, plus de 450 millions d'euros annuels. Les Britanniques ont ainsi préféré mettre en place une taxe nationale au lieu d'attendre la solution à l'échelle de l'OCDE, tout en ajoutant que la Grande-Bretagne renoncerait à son impôt si l'accord était trouvé avant sa mise en place. Ce mardi, à la sortie de l'Ecofin, le ministre italien des Finances Giovanni Tria a mis l'accent sur la nécessité de trouver une solution rapide, en ajoutant qu'en cas d'échec des négociations au sein de l'Union d'ici la fin de l'année, la Botte mettrait en place sa propre taxe sur les entreprises digitales.
La France s'est toutefois heurtée à l'opposition d'autres nations, alors que les réformes touchant à la fiscalité au sein de l'Union doivent être adoptées à l'unanimité des États membres. L'Irlande, la Finlande et la Suède freinent des quatre fers, et l'Allemagne, à l'origine derrière Paris, s'est montrée de plus en plus réticente: l'entourage du ministre des Finances avait fait savoir, durant l'été, que «beaucoup de travail intellectuel» restait à faire sur cette question, et qu'«aucune décision» n'avait été prise. Un changement de ton qui avait beaucoup plu aux milieux économiques allemands, inquiets de l'effet d'une telle taxe sur les entreprises nationales.
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