Jusqu’à quand Carlos Ghosn, arrêté au Japon le 19 novembre pour malversations financières à la tête de Nissan, va-t-il pouvoir rester PDG de Renault ? Jusqu’à quand l’Etat actionnaire à 15 % du constructeur automobile pourra-t-il retarder l’inéluctable ? Après les dernières révélations des Echos sur les 7 millions d’euros qu’il se serait fait verser de manière très discrète, entre 2017 et 2018, via une filiale jusque-là peu connue (Nissan Mitsubishi BV), ces deux questions se posent de manière encore plus insistante. Mais lors de la présentation de ses vœux à la presse, lundi, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, n’a pas changé de cap. Il a simplement indiqué que l’Etat actionnaire faisait son boulot et qu’il suivait «quotidiennement» la situation. Interrogé par la presse sur la détention du boss de Renault, qui dure maintenant depuis neuf semaines, il a répondu sans répondre : «Peut-il être durablement empêché ? C’est une question de temps.» Sans préciser donc à partir de quel moment cet empêchement deviendrait ingérable.

Saucissonnage

Depuis la date de l’arrestation de celui qui est encore patron de Renault mais aussi de l’Alliance Renault-Nissan, Bercy a opté pour une stratégie de soutien sans faille, sans vraiment s’en expliquer autrement que par «le respect de la présomption d’innocence». Ce choix est surtout, pour l’Etat, le moyen de préserver, pour le moment, le leadership de Renault dans l’alliance nouée il y a vingt ans avec Nissan. De fait, il est probable que le limogeage de Carlos Ghosn entraînerait immédiatement une demande pressante du constructeur japonais pour un rééquilibrage de la participation de chacun des deux associés (Renault détient 43,14 % de Nissan, alors que le japonais n’a que 15 % du Français).

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Pour autant, le soutien de l’Etat à l’ex-superstar du CAC 40 apparaît de plus en plus fragile et incertain. La justice japonaise a en effet opté pour un «séquençage» de ses fuites, pour ne pas dire un saucissonnage. Chaque semaine amène son lot de révélations sur les différentes accusations qui pèsent sur Carlos Ghosn. Ce rouleau compresseur judiciaire contraint Renault, aussi bien que l’Etat, à devoir se justifier et donc à jouer constamment en défense. Ainsi, après les questions répétées de la CGT sur le rôle joué par Renault Nissan BV (RNBV), la société basée à Amsterdam qui chapeaute les deux constructeurs, la firme au losange a été contrainte de confirmer que sa directrice des affaires juridiques, Mouna Sepehri, avait bien perçu, outre son salaire chez Renault, 500 000 euros de revenus au cours des cinq dernières années. Des jetons de présence versés pour «sa participation au directoire de RNBV». «Une démarche parfaitement légale. Ces revenus ont été déclarés et le conseil d’administration de Renault n’avait pas en être informé puisque Mouna Sepehri est un cadre dirigeant salarié de Renault qui n’est pas soumis aux mêmes obligations qu’un mandataire social», plaide l’avocat Nicolas Baverez qui assiste depuis quelques semaines le constructeur français dans sa revue de détail de toutes les rémunérations versées à Carlos Ghosn et à la direction générale.

Après avoir longtemps subi les coups de boutoir de Nissan, Renault semble décidé à lancer la contre-offensive, tant sur le plan médiatique que judiciaire. A fortiori si le soutien de l’Etat vient à s’étioler dans les semaines à venir. Plusieurs cabinets d’avocats dont celui de Nicolas Baverez ont été mandatés pour organiser la riposte. Selon les informations recueillies par Libération, Renault pourrait maintenant contester l’enquête interne de Nissan qui a nourri les accusations de la justice japonaise. La manière dont les témoignages ont été recueillis et transmis à la justice japonaise pourrait être attaquée sur la forme comme sur le fond.

Pour autant, cette réponse du berger à la bergère n’intervient-elle pas un tantinet trop tard ? Dans une interview lundi soir aux Echos, le PDG de Nissan, Hiroto Saikawa, le tombeur de Carlos Ghosn, enfonce un peu plus le clou : «Ce que nous avons découvert justement est grave et contraire à l’éthique», réitère-t-il au sujet de son ancien patron, avant de parler de «manipulations et décisions intentionnelles». Et de conclure : «Tout ce que je souhaite, c’est que les administrateurs de Renault aient accès au dossier complet. Je pense que lorsque ce sera le cas, ils tireront la même conclusion que nous.» Or les avocats de Nissan ont effectivement transmis le dossier japonais d’accusation aux avocats de Renault. Mais jusqu’à présent, ce document n’a visiblement pas été transmis aux membres du conseil d’administration de Renault. Et notamment aux deux administrateurs qui représentent l’Etat, Martin Vial et Thomas Courbe. Un avocat leur en a simplement présenté une synthèse durant une réunion en décembre. Pourquoi si peu d’empressement à se plonger dans le dossier d’accusation japonais ? Personne, tant du côté de Renault que de l’Etat, n’a souhaité répondre à cette question. L’entourage de Bruno Le  Maire confie tout juste du bout des lèvres «avoir quelques doutes» sur la nature des documents transmis par Nissan.

Cellule

Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’échéances vont, de fait, mettre les actionnaires et la direction de Renault au pied du mur. La première est ce mardi avec l’examen par le parquet de Tokyo de la demande de remise en liberté de Carlos Ghosn déposée par ses avocats. La seconde est le 12 février, date de la présentation des résultats annuels de l’entreprise. Traditionnellement, c’est le PDG, autrement dit Carlos Ghosn, qui s’y colle. Mais cette année, cela s’annonce difficile, l’intéressé ayant de bonnes chances d’être, sinon dans sa cellule, toujours «empêché» par les juges japonais jusqu’à son procès. Mais d’ici là, Thierry Bolloré, le directeur général «par intérim» nommé pour assurer la régence du groupe, aura peut-être pris du galon.

Franck Bouaziz