LA TRIBUNE- A la suite de l'accord obtenu jeudi 1er juillet entre les 130 pays membres de l'OCDE, lequel a été qualifié "comme le plus important conclu depuis un siècle" par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, quel bilan tirez-vous des deux jours de négociations intenses au sein de l'organisation ?
PASCAL SAINT-AMANS- Je tire un plutôt un bon bilan. Nous avons un accord avec la quasi totalité des pays engagés (130 sur 139). C'est un accord historique. Il change radicalement les règles internationales. Il met fin à des années de globalisation non régulée. Nous allons enfin introduire une régulation fiscale de la mondialisation pour éviter que les entreprises puissent ne pas payer d'impôt sur leurs profits réalisés. A l'approche du G20, nous sommes très confiants. Tous les pays du G20 figurent dans l'accord.
Il reste neuf pays réfractaires. Quels sont leurs arguments ?
Sur les neuf pays réfractaires, plusieurs pays comme la Barbade, Saint-Vincent et les Grenadines ont vécu sur ce système de délocalisation des profits où il n'y avait quasiment pas de fiscalité. D'autres pays ont le même type de système mais ils ont compris que les choses changeaient et que cela ne servait à rien de s'opposer. Les îles Caïmans ou les îles Bermudes sont des juridictions qui vont souffrir mais elles ont compris que le monde avait changé.
Une autre catégorie qui comprend les pays de l'Est, comme l'Estonie et la Hongrie, n'a pas rejoint l'accord. Suite au soviétisme, ces pays ont conservé une tradition d'avoir des exonérations fiscales pour attirer des usines ou des activités physiques. Ces Etat ne veulent pas perdre ces exonérations. La mise en place d'un impôt minimum mondial met en principe fin à cela. Des concessions ont néanmoins été faites pour prendre en compte leurs intérêts. L'intérêt d'un impôt minimum mondial n'est pas de récupérer quelques milliers d'euros sur une petite usine en Hongrie mais plutôt de s'attaquer au méga-profits qui sont localisés dans d'autres pays comme Singapour. Nous ne pouvons pas faire un droit d'exonération. Il existe une mesure qui explique que si une usine ou une activité ne rapporte pas grand chose, on va reprendre une partie de l'exonération. Nous laissons la possibilité de faire quelques incitations fiscales sur des activités qui rapportent. C'était suffisant pour la République Tchèque, la Bulgarie, la Slovaquie. D'autres pays comme l'Estonie ou la Hongrie sont restés inflexibles.
Combien une taxe minimum mondiale sur les multinationales de 15% pourrait-elle rapporter ?
Elle pourrait rapporter au moins 150 milliards d'euros chaque année. 90% de l'économie mondiale est concernée par cet accord.
Concernant le pilier 1 sur les droits et les bénéfices, comment va s'effectuer la répartition entre les Etats ?
Cela va passer par une clé de répartition sur le chiffre d'affaires réalisé par les multinationales dans les pays. Entre 20% et 30% de la rente des entreprises seront réalloués au pays de marché en fonction du chiffre d'affaires.
Plusieurs associations et ONG affirment que cet accord bénéficiera avant tout aux pays du Nord. Que leur répondez-vous ?
Seuls quatre pays en voie de développement n'ont pas rejoint l'accord. Il s'agit notamment du Kenya, du Nigéria, du Sri Lanka. Les pays de l'Ataf, le forum des administrations fiscales africaines (African Tax Administration Forum) ont concédé que cet accord était bon. C'est un compromis entre 130 pays. Je trouve que les critiques venant de certaines ONG me font penser à une forme de populisme. C'est un peu surprenant d'avoir une approche très idéologique.
La pandémie a-t-elle accéléré le processus de régulation de la fiscalité internationale ?
La pandémie n'a pas accéléré ce processus. Cela fait 10 ans que l'on a commencé avec la crise financière mondiale, la régulation fiscale de la mondialisation. La fin du secret bancaire était loin d'être une évidence il y a 10 ans. Après, il y a eu les travaux sur BEPS (l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices). L'accord d'aujourd'hui est le résultat de ces travaux. BEPS a permis d'ouvrir la porte à plus de justice fiscale et mettre fin à ce monde où les entreprises pouvaient mettre leurs profits où elles voulaient. Ce qui a véritablement accéléré le processus est l'élection de Biden aux Etats-Unis.
Cet accord illustre-t-il un retour de la souveraineté des Etats sur la planète après des années de mondialisation effrénée ?
Il s'agit du paradoxe de la fiscalité internationale. Pour rétablir la souveraineté des Etats, il faut qu'ils discutent et se mettent d'accord à travers le multilatéralisme. L'idée de la souveraineté est que chaque Etat fait ce qu'il veut dans son coin. La réalité est toute autre. Dans un monde globalisé, rétablir la souveraineté des Etats, c'est les mettre autour d'une table et obtenir un accord. Ce paradoxe est passionnant.
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