L'une des premières sanctions prises par les Allemands, après la décision de Vladimir Poutine d'envahir les régions séparatistes ukrainiennes du Donbass, reconnues par lui comme indépendantes, a été la suspension du projet de gazoduc Nord Stream 2. Comme il n'est pas opérationnel, cela n'aura que peu d'incidences à court terme sur les marchés mondiaux du gaz et du pétrole.
En effet, si les sanctions portaient sur l'arrêt des importations de pétrole et de gaz russes, les effets seraient immédiats sur les prix. Ce mardi après-midi, le risque géopolitique ukrainien faisait gagner au prix du baril de Brent - la référence européenne du pétrole - un peu moins de 2 dollars, autour de 97 dollars. Celui du baril de WTI, la référence américaine, gagnait plus de 1%, pour évoluer autour de 93 dollars.
"La réaction du marché reste encore disciplinée même si plus de volatilité est attendue au fur et à mesure que la situation militaire et politique évolue et risque de s'aggraver", indique Gregor Hirt, directeur de la gestion multi-actifs chez Allianz GI.
Les livraisons ne sont pas suspendues
Cet attentisme du marché s'explique par le fait que les flux de pétrole et de gaz ne sont pas pour le moment coupés. Si c'était le cas, cela changerait radicalement la situation.
"Le conflit en Ukraine pourrait avoir un impact sur les marchés mondiaux de trois façons : les prix de l'énergie, les prêteurs à la Russie, et le risque d'une cyber-attaque russe. Si les prix de l'énergie ont surtout retenu l'attention jusqu'ici, c'était à juste titre car leur flambée a alimenté l'inflation mondiale. Plusieurs pays européens, l'Allemagne en particulier, sont les premiers concernés en raison de la dépendance à l'approvisionnement en gaz russe. En effet, le manque de cohésion des membres de l'UE pour répondre à la menace de guerre s'explique par les divisions liées à l'énergie", explique Steven Barrow, économiste chez Standard Bank.
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En effet, la Russie est l'un des premiers producteurs et exportateurs mondiaux de pétrole avec l'Arabie Saoudite, avec une part estimée à 12% selon les estimations de JP Morgan. Or la quasi moitié de ces exportations de brut et de condensats sont à destination de l'Europe. Et le premier client en tant que pays est la Chine, qui achète un tiers du brut exporté russe. Les livraisons se font via le réseau des pipelines géré par la compagnie russe Transneft qui connecte les champs pétrolifères russes à l'Europe et l'Asie. Avec ses 1,5 million de barils par jour, soit un volume supérieur à la production d'un pays comme le Nigéria, le pipeline de Droujba fournit le brut russe aux raffineries de Pologne, d'Allemagne, de République tchèque, de Hongrie, de Slovaquie, via le Belarus et l'Ukraine. Le risque est donc important en cas de suspension des livraisons de pétrole.
Les Etats-Unis achètent du brut russe
Par ailleurs, et c'est moins connu, les Etats-Unis sont également acheteurs de brut russe dont ils importent 600.000 à 800.000 barils par jour. Un volume qui représentait 10% des importations américaines de pétrole en mai 2021, selon l'Administration américaine chargée de l'information sur l'énergie (EIA), alors qu'il n'était que de 4% en 2018.
Cette hausse est une conséquence des sanctions américaines à l'égard du Vénézuela appliquées en 2019. La République bolivarienne livrait l'Oncle Sam en brut lourd recherché par les raffineurs américains qui ont dû trouver d'autres sources d'approvisionnement sur cette qualité, dont la Russie.
"L'équilibre des fondamentaux du marché du pétrole est tel aujourd'hui que si les tensions entre la Russie et l'Ukraine cessaient, le prix du baril chuterait probablement à 84 dollars. En revanche, toute perturbation dans les livraisons de pétrole en provenance de Russie dans un contexte de faible capacité inutilisée dans d'autres pays pourrait faire facilement grimper les prix du pétrole à 120 dollars le baril. Une réduction de moitié des exportations de pétrole russe enverrait probablement le prix du Brent à 150 dollars le baril", avertit Natasha Kaneva, directrice de la stratégie mondiale des marchés des matières premières chez JP Morgan, dans une note diffusée la semaine dernière.
Quant au gaz naturel, qui fait l'objet de litiges entre la Russie et l'Ukraine depuis des années, son prix a déjà atteint cet hiver des records historiques (multiplié par dix par rapport à la moyenne) en raison de la crise énergétique que traverse l'Europe.
Or la Russie exporte quelque 37% de sa production, principalement vers les pays de l'UE, subvenant à 45% de ses besoins, dont une large part (70%) transite via des gazoducs, trois exactement: Nord Stream 1 (capacité de 55 milliards de m3), Yamal-Europe (capacité 33 milliards de m3) qui passe par la Biélorussie et la Pologne, et un dernier réseau constitué de 3 gazoducs (Brotherhood, Soyuz, Progress) qui passent notamment par l'Ukraine, avec une capacité cumulée de 33 milliards de m3.
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L'alternative limitée du GNL
Cette addiction ayant montré ses limites cet hiver, avec les tensions sur le dossier ukrainien, l'Europe a commencé à diversifier ses approvisionnements, en achetant davantage de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en provenance de l'Asie et des Etats-Unis, qui sont devenus les premiers exportateurs de GNL devant le Qatar et l'Australie.
Mais, le recours au GNL présente aussi des inconvénients. "Toute perturbation des exportations de gaz naturel vers l'Europe via les gazoducs fera peser le fardeau du restockage de l'été sur le GNL. Cela pourrait entraîner une nouvelle hausse des prix du gaz naturel en Europe, similaire à celle que l'on a vu en décembre, quand les prix ont atteint 180 euros le MWh", estime Shikha Chaturvedi, directrice de la stratégie des marchés mondiaux de gaz naturel et GNL, chez JP Morgan.
Dans ces conditions, les Occidentaux ne devraient pas trop se presser pour prendre des mesures concernant le secteur énergétique russe, au nom des intérêts européens, et se cantonner à la suspension de Nord Stream 2, non opérationnel, qui a également l'avantage de régler le différend entre le chancelier Olaf Scholz et ses alliés Verts au sein de la coalition.
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