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Un licenciement sur cinq finit-il aux prud'hommes comme le dit Muriel Pénicaud

La ministre du Travail a assuré devant les sénateurs que 20% des licenciements se terminaient de façon conflictuelle. Et va un peu vite en besogne. Décryptage.

"En France, plus d'un licenciement sur cinq se termine par un contentieux?". En défendant le texte du projet de loi d'habilitation devant les sénateurs ce 24 juillet, mais aussi devant les députés, qui ont depuis adopté le texte, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud a insisté sur ce qui constitue l'un des chevaux de bataille du gouvernement: l'incertitude vécue par les entreprises lorsqu'elles se séparent d'un salarié. "Cette incertitude conduit à freiner l'embauche", a poursuivi la ministre. 

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Un recours au contentieux stable depuis dix ans

Pour étayer son propos, la ministre du Travail s'appuie sur les données fournies par la Direction générale du Travail (DGT) selon lesquelles le nombre de recours devant la juridiction prud'homale en matière de licenciement économique est de 3%, mais il grimpe à 30% en matière de licenciement pour motif personnel. 

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Des chiffres étayés par une étude du Centre d'études de l'emploi (CEE) publiée en mars 2016. Pour calculer ce taux de recours en contentieux, les auteurs prennent en compte le nombre de recours devant les prud'hommes et le nombre de personnes nouvellement inscrites à Pôle emploi. En 2016, 163 700 personnes l'on fait suite à un licenciement économique et 471 600 suite à un licenciement pour motif personnel. Le nombre d'affaires portées devant les prud'hommes fluctue autour de 200 000 depuis plus de dix ans, selon l'étude la plus récente sur le sujet, publiée par le ministère de la Justice en août 2015. 

Selon le CEE, pour les licenciements économiques, le pourcentage s'est toujours maintenu à 3%, mais il a oscillé entre 20 et 30% pour les licenciements à motif personnel. 

"Tous les licenciements ne sont pas égaux"

"Nous avons calculé la moyenne de ces deux taux, ce qui nous donne environ 20%", explique le cabinet de la ministre. Et c'est là que le bât blesse, les deux taux de recours étant très disparates.  

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"Je ne suis pas pour l'établissement d'une telle moyenne car ils ne sont pas comparables, dénonce Julie Valentin, maître de conférences à la Sorbonne. Tous les licenciements ne sont pas égaux. On peut affirmer qu'un licenciement sur cinq est contesté, certes, mais il faut surtout préciser que cela concerne toujours des licenciements pour motif personnel, sinon on accrédite l'idée qu'il est difficile de licencier en France, ce qui n'est pas vrai."  

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D'ailleurs, en comparant la France avec ses voisins européens, on constate que le recours aux prud'hommes n'est pas une spécialité française. Selon une étude du Centre d'étude pour l'emploi, "La France est nettement en dessous de la moyenne européenne (10,6 demandes pour 1 000 salariés en Europe contre 7,8 en France)".  

Moins d'actions en justice mais plus de conflits

En effet, malgré une hausse continue du chômage, le nombre de contestations des licenciements n'a pas explosé ces dernières années. Selon les auteurs de l'étude du ministère de la Justice, ceci s'explique par l'instauration de la rupture conventionnelle. "En se substituant pour partie aux licenciements, la rupture à l'amiable a influé mécaniquement sur leur nombre, diminuant ainsi le risque de litiges", affirment les auteurs. "L'essentiel des ruptures de contrat de travail sont des démissions, des ruptures conventionnelles ou des fins de CDD, abonde Julie Valentin. Le licenciement ne constitue qu'une petite part de ces ruptures."  

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Une petite partie, peut-être, mais dont la nature conflictuelle est réelle. C'est bel et bien la contestation du motif de licenciement qui occupe les prud'hommes. Selon l'étude du ministère de la Justice, en 2004, 92% des affaires concernaient la rupture du contrat de travail et, dans 69% des cas, "le litige (portait) à titre principal sur la contestation du motif de la rupture, dont 66% pour motif personnel."  

En 2013, "la part de contestations du motif de la rupture augmente pour arriver à 78%. Le motif personnel représente 76% des motifs", conclue l'étude.  

Sécuriser l'employeur ou gommer la régulation sociale ?

Comment expliquer une telle évolution? "Sur les quinze dernières années, les demandes tendent à se resserrer autour des contestations des motifs de rupture. Or ce type de demandes permet d'escompter, outre des indemnités et salaires, le versement de dommages-intérêts pour des causes diverses, dont le montant dépend de l'ancienneté du salarié, de la taille de l'entreprise, des motifs et des circonstances de la rupture. La "valeur" financière attendue des demandes est sans aucun doute une variable clé de la demande en justice", avançaient Julie Valentin et Evelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, dans une étude publiée en 2009. Elles parlaient "d'intérêt à l'action" de la part des salariés. 

Un "intérêt" sur lequel le gouvernement entend précisément agir avec la mise en place du plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement reconnu comme sans cause réelle et sérieuse. Une mesure qui vient s'ajouter à d'autres réformes toutes destinées à éviter les procès et dissuader les salariés de se lancer en justice. "Il y a une vraie dimension culturelle là dedans, analyse Julie Valentin, en 2017 cette fois-ci. On veut de plus en plus "sécuriser" l'employeur et gommer la dimension contentieuse mais c'est oublier un peu vite que le recours à une juridiction est une forme de régulation sociale."  

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