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Pourquoi la dette de la SNCF est un faux problème

FIGAROVOX/TRIBUNE - Alain Bonnafous montre comment l'État a longtemps utilisé la dette de la SNCF pour se défausser de sa responsabilité. Cette pratique, qui en principe n'est plus possible, a mis aujourd'hui la SNCF dans une impasse. Et si celle-ci pouvait néanmoins avoir quelques vertus ?


Alain Bonnafous est professeur émérite de l'Université de Lyon (IEP) et chercheur au Laboratoire Aménagement, Économie, Transports. Il s'exprime ici à titre personnel.


Outre la dette reçue à sa naissance par RFF en 1997, l'accumulation d'emprunts par RFF devenu SNCF Réseau en 2015 a porté ce passif à 47 milliards d'euros aujourd'hui. La charge de la dette qui en résulte pèse 1,3 milliards chaque année, pour les seuls intérêts. Que doit faire l'État qui a une part de responsabilité dans cette charge?

Genèse de la dette: une «fonction cachette» historiquement imposée à la SNCF

À la veille de la réforme de 1997, quelques journalistes ont observé que la dette de la SNCF était supérieure à la dette extérieure de la Chine en omettant, déjà, de faire la distinction entre une dette amortissable (le TGV Sud-Est a été amorti bien avant la maturité de sa dette) et une dette due à un déficit cumulé que l'État actionnaire avait trouvé commode de ne pas couvrir par des subventions d'équilibre. Il a choisi de garer ces déficits dans la dette de la SNCF plutôt que dans la sienne. Cette cachette peut être commode à court terme mais le reliquat reste d'actualité.

La réforme de 97 a laissé à la SNCF un tiers, réputé raisonnablement amortissable, de la dette du moment et deux tiers ont été inscrits au passif du bilan de RFF. Mais son actif, le réseau, produit un résultat négatif car le péage ne couvre qu'une partie des coûts de fonctionnement et d'entretien. Ainsi, la charge de cette «dette héritée» ne rembourse pas le principal et ne concerne que le seul paiement des intérêts. Avec les intérêts des emprunts contractés depuis, cette charge pèse 1,3 milliards par an sur les comptes de SNCF Réseau.

Un «article 4» pour en finir avec cette fonction de cachette de la dette publique

Théoriquement, les emprunts levés après 1997 sont amortissables car ils sont soumis à l'article 4 du décret de mise en place de RFF: celui-ci interdit des emprunts pour investissement qui compromettraient le compte de résultat dans la durée ; à charge pour la puissance publique de subventionner des investissements décidés mais insuffisamment rentables. Même si RFF, dans ses débuts, n'a été que progressivement armé pour maîtriser cette contrainte, on peut prétendre qu'elle a été convenablement respectée et que les emprunts afférents sont bien gagés sur des recettes de péage. Y compris pour les «emprunts TGV» contrairement à ce qu'il est de bon ton d'affirmer.

Un audit comptable et financier peut aisément proposer une partition entre la «dette article 4» et le passif non amortissable qui doit représenter une grosse moitié de la dette de SNCF Réseau.

Pour que cet apurement de la « fonction cachette » soit vertueux, il conviendra bien évidemment de ne pas récidiver.

Comment gérer cette «impasse de la dette»?

La charge de la dette non amortissable pèse sur la capacité de financement de SNCF Réseau. C'est le prix à payer par le système ferroviaire de cette «fonction cachette» trop longtemps utilisée par l'État.

Bien que cette charge d'intérêt soit in fine couverte par les finances publiques, un établissement public ne pouvant être déficitaire, l'État a jusqu'ici refusé de reprendre la dette. Une reprise totale représenterait 2 % de plus sur le taux officiel d'endettement du pays qui a flirté en 2016 avec les 100 % du PIB. Chiffre magique pour un regard bruxellois. Le symbole était trop fort. L'enjeu est pourtant limité car une part de cette dette est déjà enregistrée par l'INSEE au titre de l'endettement public pour un montant d'un peu plus de 10 milliards et, selon l'estimation qui sera faite de la dette non amortissable de SNCF Réseau, il s'agirait d'enregistrer de l'ordre de 15 milliards supplémentaires, soit moins de 0,6 % du PIB. Cela maintiendrait la France en deçà du chiffre magique en 2018.

Il est en outre probable que la dette non amortissable du passif de SNCF Réseau sera avant longtemps qualifiée tout entière en dette maastrichtienne. Pour l'éviter, il faudrait convaincre Bruxelles qu'il pourrait arriver à SNCF Réseau de dégager des bénéfices, comme c'est arrivé parfois à son homologue allemand DB Netz AG. Écartons cette hypothèse pour le demi-siècle en cours tant on est encore loin d'un péage au coût complet.

L'enjeu maastrichtien devenant secondaire, il n'est qu'à limiter les effets pervers sur le système ferroviaire de cette part non amortissable de la dette, ce qui suppose sa reprise par l'État. D'autant que ce n'est pas la solution la plus coûteuse car cette reprise diminuerait paradoxalement, dans la durée, la charge de la dette pour les finances publiques. En effet, les emprunts levés par SNCF Réseau ont des taux d'intérêt de 30 points de base (0,3 %) supérieurs à ceux de France Trésor, selon le rapport du gouvernement d'août 2016 sur la dette. Cette charge étant, dans tous les cas, couverte en dernier ressort par des deniers publics, autant qu'elle soit amoindrie.

Pour que cet apurement de la «fonction cachette» soit vertueux, il conviendra bien évidemment de ne pas récidiver et donc de respecter un principe «article 4». Cela implique que les ministères de tutelle se gardent de réutiliser la cachette comme ce fut hélas décidé en 2016 pour Charles de Gaulle Express, au lendemain même de l'officialisation d'une «règle d'or» qui l'interdisait!

Ajoutons le dernier, mais non le moindre, des avantages qu'aurait cette reprise partielle de dette: elle peut être mise dans le panier des concessions de l'État dans le cadre de négociations qui ont déjà trop duré. On pourra dire alors que la dette a servi à quelque chose.

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