A quelques semaines des européennes, l’annonce a valeur de symbole. Si l’Europe a raté le train d’un «Airbus du numérique» et peine à contenir la force de frappe américaine et chinoise dans l’intelligence artificielle, elle espère toujours ne pas rater celui des voitures électriques, vital pour l’avenir de son industrie automobile. Avant d’aller saluer dans le Nord la reprise de l’aciérie Ascoval et des 270 emplois par le britannique British Steel, Bruno Le Maire avait donc rendez-vous jeudi à Bercy avec son homologue allemand Peter Altmaier et le commissaire européen à l’énergie Maros Sefcovic pour lancer un «Airbus des batteries». Soit 5 à 6 milliards d’euros que les deux pays s’apprêtent à investir conjointement dans un consortium pour tenter de ne pas se faire complètement larguer par la Chine.

«Le temps presse si nous voulons que notre production soit en place d’ici à quatre à cinq ans», lorsque le marché de la voiture électrique aura décollé, a reconnu le commissaire slovaque. Il a confirmé que Bruxelles donnera son accord officiel au déblocage d’un maximum de 1,2 milliard d’euros de subventions publiques (françaises à hauteur de 700 millions d’euros, allemandes et européennes). Le reste, c’est-à-dire environ 4 milliards d’euros proviendra de fonds privés alimentés par une trentaine d’industriels des deux côtés du Rhin comme le fabricant français de batteries de haute technologie Saft (groupe Total), le chimiste Solvay, Siemens et Manz côté allemand, etc. PSA qui n’a pas encore donné son accord a assuré que sa participation «était à l’étude» via sa filiale allemande Opel, «dans un contexte de sécurisation à long terme des approvisionnements de batteries». Le deuxième constructeur européen attend le feu vert européen pour s’engager mais a dû être rassuré par la promesse de Maros Sefcovic qui a indiqué qu’il devrait intervenir avant la fin du mandat de l’actuelle Commission, en octobre.

Site pilote

Ce projet montre que l’Europe «n’est pas condamnée à dépendre des importations technologiques des deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Chine» a jugé pour sa part Bruno Le Maire, qui compte sur cet affichage industriel du couple franco-allemand pour «susciter des vocations» parmi d’autres pays ayant manifesté leur intérêt pour rejoindre cette alliance comme l’Italie, la Pologne, l’Autriche ou encore la Finlande. Lancée depuis dix-huit mois, cette initiative franco-allemande doit déboucher sur la construction à très court terme, d’ici 2020, d’un premier site pilote en France (200 emplois) puis d’ici 2023 sur deux autres usines, l’une dans l’Hexagone, l’autre en Allemagne, susceptibles de créer 1 500 emplois chacune. Elles produiraient alors des batteries de conception classique (liquide), puis des batteries dites «solides» de quatrième génération en 2026. Selon les estimations du cabinet BCG, le marché des batteries pour véhicules électriques mais également pour le stockage de l’électricité éolienne et solaire pèsera alors 45 milliards d’euros.

«Nous avons un intérêt plus élevé que jamais pour ce projet», a confirmé l’ancien fonctionnaire européen Peter Altmaier selon lequel Paris et Berlin ont déjà obtenu «35 réponses positives, y compris de producteurs automobiles». Pour autant ce projet restera celui des industriels et constructeurs qui, a-t-il rappelé, sont à l’origine de cette initiative : «Les consortiums ne sont pas composés par l’Etat, ils ne sont pas composés par les ministres ou par la commission.»

Jusqu’ici l’Europe s’est cantonnée à la production de moteurs électriques et de composants électroniques. Alors que les batteries lithium-ion représentent au moins un tiers de la valeur ajoutée des véhicules électriques, l’Europe n’a capté que des miettes de ce marché trusté par les géants asiatiques comme le chinois CATL, leader mondial, le japonais Panasonic ou encore les coréens Samsung et LG. A défaut de refaire une partie de son retard dans ce domaine, l’Europe se condamnerait à une désindustrialisation massive de son secteur automobile avec le transfert attendu dans les prochaines années de centaines de milliers d’emplois de la fabrication de moteurs thermiques vers celle de batteries électriques. Dans une note conjoncturelle publiée fin avril, la banque d’affaires Natixis indique «qu’une perte de 30% de la valeur ajoutée sur 50% de la production (la part supposée des voitures électriques en 2025) correspond à une perte d’un point de PIB pour la zone euro, ce qui est un choc de taille macroéconomique».

Gros potentiel d’emplois

D’après les estimations de Bruxelles rappelées par son commissaire à Bercy, cette filière allant de l’extraction du lithium jusqu’au recyclage des batteries représente un potentiel de deux à trois millions d’emplois dans les prochaines années. «Selon l’industrie auto, nous avons douze mois pour montrer que nous en sommes capables», a déclaré Maros Sefcovic qui a promis que l’Europe qui vient de bloquer la fusion de Siemens et Alstom dans les transports jouerait «son rôle de facilitateur». Le projet suscite un certain scepticisme outre-Rhin où certains équipementiers, à l’image de Bosch, restent en retrait, craignant une mainmise étatique. Ce à quoi Bruno Le Maire a rétorqué que «quand on a lancé Airbus, personne ne savait s’il serait capable de faire des avions aussi bons ou meilleurs que Boeing».

La Chine, qui détient le record mondial de ventes de véhicules électriques, n’a en tout cas pas de doutes. Ses «giga usines» de batteries, qui figurent dans la liste des priorités du plan stratégique «Made in China 2025» – l’objectif est de produire annuellement 1,2 million de véhicules électriques à cette échéance – représentent déjà 217 GWh de capacités de production contre 50 GWh outre-Atlantique et 12 GWh en Europe. Un enjeu d’autant plus stratégique que ces batteries permettent à la deuxième puissance économique mondiale de s’affranchir des technologies occidentales de motorisation. Ce serait même plutôt l’inverse : né en 2011 le chinois CATL fournit déjà PSA et BMW et vise 60 Gwh de capacités d’ici 2020.

Christophe Alix