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INTERVIEW. 15 000 emplois menacés : « L'objectif, c'est de sauver Airbus », affirme le DRH du groupe - actu.fr

L'inquiétude plane sur Airbus et son siège mondial à Toulouse (le quartier général, en bas à gauche), après l'annonce d'un vaste plan social
L’inquiétude plane sur Airbus et son siège mondial à Toulouse (le quartier général, en bas à gauche), après l’annonce d’un vaste plan social (©Airbus / P. Masclet)

Près de quatre mois après le début de la crise sanitaire et économique, qui menace de crash tout le secteur aérien, l’activité n’a repris qu’à 40 % chez Airbus. Alors que les turbulences s’accumulent, le groupe a annoncé mardi, un vaste plan de réduction des effectifs. 15 000 postes doivent être supprimés au niveau mondial, dont 5 000 en France. « Airbus fait face à la crise la plus grave que ce secteur ait jamais connue », a soulevé son PDG. Pour Guillaume Faury, alors que le trafic aérien ne devrait « pas retrouver son niveau d’avant COVID avant 2023 et potentiellement 2025 », l’heure est à « préserver l’avenir de la société ». 

Ce plan social – ou « plan d’adaptation », dans le jargon de l’avionneur – devrait être rondement mené, « au plus tard à l’été 2021 ». Mais comment l’industriel compte-t-il mettre en place ces mesures ? Alors que ce plan sera détaillé jeudi 2 juillet 2020 au matin, lors d’un comité de groupe Airbus France, à Blagnac (Haute-Garonne), siège de l’avionneur aux portes de Toulouse, entretien avec Thierry Baril, directeur mondial des ressources humaines.

Lire aussi : Toulouse. Airbus annonce la suppression de 15 000 postes, dont 5 000 en France

« Ce n’est pas un chiffre qui sort du chapeau »

Actu Toulouse : vous venez d’annoncer la suppression de 15 000 emplois, dont 5 000 en France, ces chiffres sont-ils irréversibles ?

Thierry Baril : « Le plan d’adaptation que nous présentons reflète totalement la réalité la situation.

Quand on parle d’environ 15 000 postes à réduire, dont 5 000 en France, ce n’est pas un chiffre qui sort du chapeau, ou un chiffre cosmétique. C’est malheureusement la dure réalité à laquelle nous sommes confrontés. Après, est-il irréversible ? Il est en tout cas totalement honnête et conforme à l’adaptation qui doit avoir lieu pour faire face à la crise sans précédent que traverse le secteur aérien. 

Cette crise du Covid est inédite. C’est Power 8 (du nom d’un plan social mené en 2007 chez l’avionneur, ndlr) multiplié par trois ».

Mais vous avez également indiqué ne pas vouloir atteindre ces 5 000 postes… Quel est l’objectif ?

T.B. : « L’objectif, c’est de sauver Airbus. Et d’adapter notre effectif à la réalité qui est la nôtre, car nous avons environ 40 % d’activité en moins, de manière soudaine et brutale. Et ce pour des mois, voire des années.

L’objectif, c’est de réduire ce chiffre au maximum et d’éviter les licenciements secs, les départs contraints. Pour essayer de gérer la situation de la manière la plus responsable socialement, dans le cadre de plans de départs volontaires, de mesures d’accompagnement de fin de carrière…

Nous souhaitons d’un côté gérer ces départs de manière non agressive, sur du volontariat, de l’autre nous appuyer sur des dispositifs comme celui du chômage partiel de longue durée qu’a proposé le gouvernement, mais qui n’est toujours pas voté par le parlement ».

Lire aussi : L’annonce de 15 000 suppressions de postes chez Airbus fait vivement réagir à Toulouse

Le chômage partiel de longue durée, surtout pour l’A320

Ce dispositif de chômage partiel longue durée concernerait quels postes ?

T.B. : « Notre objectif, c’est de détourer les populations où cela pourrait faire du sens d’appliquer ce dispositif de chômage partiel de longue durée, pendant six mois, un an ou deux ans, pour sauver des compétences et être prêt quand la reprise viendra. Mais pour une entreprise comme la nôtre, ce dispositif ne peut pas s’appliquer partout.

Il peut s’appliquer là où on pense qu’on peut avoir une reprise dans les deux prochaines années, c’est-à-dire sur les monocouloirs, la famille A320, et l’environnement de production.

Parmi ces 5 000 emplois, combien concernent les sites de Toulouse, Saint-Nazaire, ou Nantes ? Et ceux de Paris et Marignane sont-ils touchés ?

T.B. : « Nous ne l’avons pas encore annoncé dans l’entreprise, et nous tenons à respecter nos partenaires sociaux. Je communiquerai demain la répartition sociale par site, dans chacun des pays concernés.

Ce plan ne concerne que l’activité d’aviation commerciale. Les sites d’Airbus Helicopters (à Paris et Marignane, ndlr) ne sont pas concernés, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas impactés par le Covid, ils sont en train de trouver leurs propres solutions ».

Les cadres « automatiquement plus impactés »

Quels seront les types de postes les plus concernés ? Les ouvriers ? Les cadres ?

T.B. : « Ce plan impactera l’ensemble des fonctions et des catégories socioprofessionnelles du groupe ».

Des syndicats disent que ce sont surtout les cadres qui sont visés…

T.B. : « Oui, parce que c’est la réalité d’Airbus, qui est une entreprise où il y a beaucoup de cadres.

On est une entreprise de haute technologie, qui fait beaucoup de recherche et développement, donc il y a beaucoup de cadres, alors inévitablement, ils vont proportionnellement être plus impactés. 

Mais on a aussi des compagnons qui sont directement impactés par la baisse d’activité. En cas de chute de charge de travail, c’est d’ailleurs la première difficulté à laquelle on est confronté. Nous n’opposons pas chez Airbus les différentes catégories. Nous sommes tous dans le même bateau ».

Lire aussi : Toulouse. Airbus : « Hors de question de préparer l’avenir en supprimant 5 000 postes », prévient FO

Les emplois sur l’A330 et l’A350 davantage menacés ?

Y a-t-il des secteurs d’activité qui seront plus touchés que d’autres ?

T.B. : « Si on regarde la famille des longs courriers, l’A330 et l’A350, avant qu’on retrouve le niveau d’activité d’avant la crise du Covid, il va se passer pas mal d’années. Et c’est tout le problème, car pour les programmes où on pense que la reprise ne sera pas avant 2023 voire 2025, les dispositifs comme le chômage partiel de longue durée ne sont pas applicables. Des personnes pourraient se retrouver dans une activité qui n’existe plus, parce qu’on a arrêté des projets, ou parce qu’on n’a pas le volume d’activité derrière…

À l’inverse, on espère bien que la partie A320 de l’entreprise mettra deux ans pour s’en remettre.

Un autre plan en vue chez ATR ?

Les effectifs de Stelia Aerospace à Toulouse sont-ils concernés ? Et d’autres filiales, comme ATR ?

T.B. : « Stelia fait partie intégrante d’Airbus et est donc inclus dans ce dispositif. Nous en communiquerons le détail jeudi. On ne parle pas ici d’ATR, qui est une société autonome, mais qui sera avec nous demain, en comité de groupe ».

Cela veut dire qu’ATR (l’autre constructeur d’avions basé à Toulouse, ndlr) prépare aussi un plan ?

T.B. : « Cela veut dire que demain, ATR s’exprimera sur sa propre situation par rapport au Covid-19. Tout le monde dans l’aéronautique est en train de s’adapter ».

Lire aussi : Toulouse. Le constructeur ATR, filiale d’Airbus, réduit aussi ses cadences de production

Faut-il redouter des fermetures d’usines ?

T.B. : « À l’instant où on se parle, nous sommes en pure adaptation à la crise du Covid-19. Nous ne sommes pas en train de faire de la restructuration profonde. Airbus se transforme depuis des années, mais là, il faut le faire dans un délai record… »

Le gouvernement et les collectivités locales jugent votre plan « excessif ». Et selon Bercy, 2 000 des 5 000 emplois pourraient être sauvés grâce au plan du gouvernement…

T.B. : « Chacun est dans ses responsabilités. C’est celle du gouvernement que d’éviter au maximum qu’il y ait des licenciements et que l’on génère du chômage. Il faut d’ailleurs saluer le soutien du gouvernement français à la filière.

Ce chiffre de 5 000 emplois est important et peut paraître excessif, et pourtant… Si vous appliquez 40 % de baisse d’activité au nombre de 90 000 personnes qui travaille dans la division avion au niveau mondial, on aurait dû être sur un plan d’adaptation de 36 000 postes.

Nous avons pris des mesures qui nous permettent de limiter d’ores et déjà ce plan d’adaptation ».

5 000 personnes concernées par le chômage partiel en France

De quelles mesures parlez-vous ?

T.B. : « Arrêter le recrutement, mettre fin aux contrats de travail temporaire à leur terme, gérer du gel de salaire pendant les prochains mois, verser un intéressement et une participation bien moindres que ce qu’on a pu voir ces dernières années… Nous avons regardé toutes les mesures qu’on pouvait instaurer pour faire des économies, comme baisser nos voyages par exemple, afin de minimiser les risques et d’éviter ce plan à 36 000 emplois. Nous sommes arrivés à 15 000 ».  

Dans le même temps, la filière aéronautique bénéficie d’un plan de soutien à 15 milliards d’euros, afin notamment d’aider les compagnies à acheter des Airbus… Certains crient déjà au scandale.

T.B. : « Le plan de relance de l’aéronautique est arrivé à point nommé et va dans la bonne direction. Il permet de poursuivre d’augmenter certains budgets de R&T (recherche et technologie, ndlr), que nous n’aurions pas poursuivre seuls. Cela permet de sauver un certain nombre d’emplois, environ 400 à 500 postes.

Quant au fameux dispositif de chômage partiel longue durée, nous pensons l’appliquer à 5 000 postes dans l’entreprise, cela devrait permettre de sauver environ 1 000 emplois, sur le périmètre A320 ».

Lire aussi : Ce qu’il faut retenir du plan du gouvernement pour sauver Airbus et la filière aéronautique

« On doit pouvoir passer de 5 000 à 3 500 » suppressions de postes

Votre stratégie est-elle d’afficher un nombre de suppressions de postes élevé pour arriver à un terrain d’entente avec l’État ?

T.B. : « Non, parce que l’État a déjà annoncé son plan de relance de la filière. Je rappelle que le dispositif d’activité partielle de longue durée n’est pas voté.

Nous exposons la taille du problème auquel nous sommes confrontés. Si nous avons confirmation que nous aurons accès à l’ensemble de ce support pour des activités de R&D, mais aussi à la solution de mettre en place du chômage partiel de longue durée détouré sur une population, on doit pouvoir passer de 5 000 à 3 500.

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’on va quelque part financer du chômage ou des licenciements avec nos impôts ?

T.B. : « Les personnes qui disent cela sont dans la polémique. L’ensemble de ces aides vise plutôt à développer des projets d’avenir.

Le plan de relance, ce n’est pas de l’accompagnement des mesures sociales… Il est là pour aider la filière à remettre des avions en vol, privilégier des flottes renouvelées, soutenir sur des nouveaux projets de R&T. Le chômage partiel de longue durée est d’ailleurs un dispositif indépendant du plan de relance.

L’État ne paie pas les plans sociaux, mais aide à préserver cette filière pendant cette période terrible… ».

Concernant les 400 à 500 postes préservés, il s’agit donc de reconvertir sur l’avion vert des emplois actuellement mobilisés sur d’autres projets ?

T.B. : « Absolument, cela concerne des emplois à risque, dont l’activité s’est arrêtée et qui pourront être conservés. L’enjeu est aussi de sauvegarder des compétences critiques, tout en continuant à investir sur l’avion du futur, pour le long terme ».

Thierry Baril, directeur des ressources humaines Monde du groupe Airbus
Thierry Baril, directeur des ressources humaines Monde du groupe Airbus (©Airbus)

« Tout faire » pour éviter les départs contraints

Malgré ces dispositifs, craignez-vous qu’il y ait des départs contraints ?

T.B. : « Déjà, nous pouvons discuter d’autres mesures, dans le cadre d’un plan de compétitivité, avec nos partenaires sociaux. Le gel des salaires est par exemple prévu sur un an, si on l’allongeait, cela pourrait aider. D’autres mesures peuvent être instaurées, pour optimiser la masse salariale. Chaque contribution sera positive.

Quant au plan de départ volontaire, personne n’est capable de dire combien de personnes vont y souscrire. Il faudra plusieurs mois pour en mesurer le succès. Nous n’avons jamais fait de départ forcé et contraint, c’est dans l’ADN d’Airbus, mais on n’a jamais connu non plus une crise telle que celle que nous vivons…

Prendre l’engagement de dire que ça n’arrivera jamais, ce n’est pas responsable. Mais on fait tout pour l’éviter. Est-ce qu’on va y parvenir ? La question reste ouverte. Imaginez qu’il y ait une récidive du Covid à l’automne prochain… ».

Accompagnerez-vous financièrement les départs volontaires ?

T.B. : « Bien sûr, à condition qu’ils soient viables financièrement pour l’entreprise. Car il ne faut pas que tout le monde s’attende à ce que ce soit des montants totalement exorbitants qu’on ne peut pas assurer. On n’a pas les moyens de se le payer ».

Au regard de la pyramide des âges chez Airbus, avez-vous une estimation du nombre de départs en retraite ?

T.B. : « Oui, mais on va laisser la primeur à nos partenaires sociaux. Il faut faire attention à ne pas faire partir toutes les personnes seniors et expérimentées. D’autant que cela a un gros coût. Malgré tout, on sait qu’il peut y avoir des mesures d’accompagnement de fin de carrière qui peuvent faire sens. Cela va sans doute aider dans le plan d’adaptation, à trouver des solutions plus socialement acceptables ».

Des élus, comme le président du Département de la Haute-Garonne, soulèvent que ce plan à 15 milliards devait servir à « sauver les emplois »…

T.B. : « La meilleure façon de sauver les emplois, c’est de remettre les avions en vol. Il faut trouver les solutions pour que les compagnies aériennes puissent en recommander et prendre livraison des commandes. Quand le ciel reverra à nouveau ces beaux oiseaux voler, cela va beaucoup aider. L’enjeu est de recréer pour les industriels la capacité de sauver l’emploi.

Je rappelle qu’il y a quatre mois, on était dans une dynamique de croissance continue depuis des années. On n’était pas en train de penser à ce plan d’adaptation, mais alors pas du tout ! C’est très frustrant, car ce n’est pas un sujet qu’on aime. Il y a quelques mois, j’annonçais les recrutements qu’on allait réaliser…

Nouvelle chaîne A321 XLR à Toulouse : « Ce n’est juste pas le bon moment »

Le calendrier interroge… Avez-vous attendu le second tour des élections municipales pour annoncer ce plan ?

T.B. : « Nous avons des calendriers d’entreprises, mais aussi des obligations, parce que nous sommes une entreprise listée. Pour nous, ce qui était important, c’était de l’annoncer d’ici la fin du mois de juillet. En l’occurrence, à partir du moment où on était prêt, on l’a fait… Nos préoccupations sont essentiellement industrielles ».

Vous avez annoncé le report de l’implantation d’une nouvelle chaîne A321 XLR à Toulouse… La Région et la Ville vous demandent d’accélérer sur ce projet pour soutenir l’emploi. Que leur répondez-vous ?

T.B. : « Déjà, que ce n’est pas un projet annulé, mais reporté. Cette chaîne visait à nous aider à passer la surcapacité à laquelle nous étions confrontés avant la crise. Elle était nécessaire pour pouvoir encaisser ce besoin. Mais à partir du moment où vous réduisez de 40 % votre production, elle n’a plus de sens. Ce n’est juste pas le bon moment ! Ce sont des investissements très lourds. Attendons le moment où on se rapprochera d’une reprise d’activité. Dès lors, cela redeviendra le bon débat ». 

Lire aussi : Airbus. « Pas de raison de remettre en cause la ligne de l’A321 XLR à Toulouse » pour le gouvernement

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