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Orange : Stéphane Richard rend sa couronne, portrait d'un homme de réseaux - La Tribune.fr

Les patrons du CAC 40 comptent beaucoup de personnes à poigne. Stéphane Richard, lui, carbure à la séduction. Ses concurrents, et ceux avec qui le ton est parfois monté dans les affaires, en témoignent : à 60 ans, le PDG d'Orange, qui cède son trône à Christel Heydemann ce lundi, est « un garçon assez sympathique », affirme un haut cadre d'un groupe rival. Xavier Niel, le chef de file et fondateur de Free, n'en pense, pour sa part, « que du bien ». L'homme est avenant, accessible. Passé par HEC et l'ENA, ce pur produit de l'élitisme républicain n'est pas du genre à prendre de haut. « Il n'est ni méprisant, ni condescendant », assure un ancien administrateur d'Orange. « Nous n'étions à peu près d'accord sur rien, poursuit-il. Mais il a fait preuve de beaucoup d'empathie à mon égard. C'est quelqu'un qui aime les gens, qui a de réelles valeurs humaines. » Stéphane Richard a, ajoute-t-il, « une vraie sensibilité ». Loin des « animaux à sang froid et sans émotion qu'on a l'habitude d'avoir » dans le cercle fermé des patrons du CAC 40.

Cette « fibre sociale », Stéphane Richard sait parfaitement en jouer. Il lui doit sa forte popularité chez l'ex-France Télécom. Laquelle ne s'est, d'ailleurs, guère érodée après sa récente condamnation dans l'affaire Tapie qui l'a obligé à rendre son tablier. Ce n'était pourtant pas gagné. A son arrivée chez France Télécom au 1er septembre 2009, en tant que directeur à l'international, beaucoup voient d'un mauvais œil ce « parachuté de Bercy », affirme notre ancien administrateur. La méfiance à l'égard de cet ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, et proche de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, est réelle. D'autant qu'il est censé, comme le détaillait à l'époque Challenges, succéder au PDG Didier Lombard deux petites années plus tard. Mais ce calendrier va être bousculé. Stéphane Richard a à peine le temps de poser ses cartons qu'éclate la violente crise des suicides.

Pour les salariés, c'est un séisme. Didier Lombard, lui, panique et se montre rapidement dépassé. En octobre 2009, il fait sauter son numéro deux, Louis-Pierre Wenès, en charge de la France, dont le vaste plan de réduction des coûts est accusé de tous les maux. Stéphane Richard le remplace. Mais la crise, de plus en plus médiatisée, se poursuit. Et seulement cinq mois plus tard, celui qui passe pour un « homme neuf » parmi l'état-major de ce paquebot de 100.000 salariés dans l'Hexagone, se voit confier la direction générale de France Télécom, à la place de Didier Lombard. Dans l'intervalle, il prend « son bâton de pèlerin », comme il aime le rappeler aujourd'hui. Le nouveau dirigeant fait la tournée des antennes régionales du groupe pour déminer la situation. « J'ai essayé dès le départ de pas être dans le déni, raconte-t-il. Je n'ai pas eu la langue de bois. Je n'ai pas dit 'circulez, il n'y a rien à voir'. » Il reconnaît un suicide en accident du travail, rend visite à une famille, en banlieue de Dijon, dont le fils s'est pendu dans le garage. Puis il nomme Bruno Mettling, un fin négociateur, à la direction des ressources humaines pour pacifier l'entreprise. De quoi gagner la confiance des salariés et des syndicats, qui lui réservaient, à ses débuts, le plus glacial des accueils.

« Je ne suis pas sarkozyste »

Dès lors, Stéphane Richard soignera toujours ses relations avec les représentants du personnel, y compris les plus à gauche. Avec eux, il ne « s'est jamais senti en décalage ». La « filiation » qu'il revendique, d'ailleurs, c'est « la gauche progressiste ». Son aisance sociale, il affirme l'avoir en partie héritée de ses origines familiales, des ouvriers communistes du côté de sa mère. « C'est ce qui fait que j'ai beaucoup de sympathie pour Monsieur Roussel [Fabien Roussel, le candidat communiste à l'élection présidentielle, Ndlr], glisse-t-il. C'est un gars qui imprime. Bien sûr qu'il est roublard, c'est un mec d'appareil. Mais il a une sincérité, une authenticité, une simplicité... Et il a de l'humour, il ne se prend pas au sérieux. Même si tout le volet économique, c'est selon moi du grand n'importe quoi. »

Homme de réseaux, soucieux de s'entendre avec tout le monde, Stéphane Richard s'est bâti un gros carnet d'adresses. Il passe pour être l'un des plus fournis de l'Hexagone. « Ministres, élus locaux, parlementaires, patrons, startuppers, associatifs, journalistes : il a le 06 de chaque Français qui pèse un peu », écrivait Libération en novembre 2019. De quoi s'ouvrir des opportunités. Même si les saisir nécessite, parfois, quelques contorsions...

En 1991, alors jeune inspecteur des finances, Stéphane Richard intègre le cabinet de Dominique Strauss-Kahn, ministre délégué à l'Industrie et au Commerce extérieur. L'expérience est brève. Travailler dans l'administration le frustre, et « l'ambiance dans les ministères » ne lui plaît guère. Le monde de l'entreprise, plus concret, dit-il, lui convient mieux. Au bout d'un an, il file dans le privé. Jean-Marie Messier l'embarque dans la Compagnie générale des eaux. En 2000, il participe au LBO de son pôle immobilier Nexity. L'opération, juteuse, le fait millionnaire. Stéphane Richard poursuit son parcours chez Veolia, en tant que directeur général de la branche Transport. Mais en 2007, quand Nicolas Sarkozy devient président de la République et lui propose un poste de directeur de cabinet à Bercy, le dirigeant, qui se dit pourtant « de gauche », ne résiste pas. Il signe. « Je ne suis pas spécialement sarkozyste, même si j'ai une grande affection pour Nicolas Sarkozy », se défend-t-il. A l'en croire, ce « job ingrat mais critique » constituait simplement une « parenthèse ». Nicolas Sarkozy, renchérit-il, représentait alors un « nouveau cycle », synonyme d'opportunité de mener « beaucoup de projets » à bien.

Un très profitable retour éclair à Bercy

L'argumentaire laisse perplexe. Stéphane Richard n'a-t-il pas plutôt saisi une occasion en or de se positionner idéalement pour prendre les rênes, plus tard, d'un fleuron industriel sous la coupe de l'Etat ? L'intéressé s'en défend. « C'est le truc que je lis si souvent dans mes portraits », s'agace-t-il, remonté contre cette « présentation très négative » des choses. Il n'empêche que sa nouvelle « pige » à Bercy s'est avérée très profitable. Après avoir été pressenti à la tête de plusieurs champions du CAC 40, dont EDF qui lui a échappé, c'est bien chez France Télécom que Stéphane Richard atterrit en 2009. Avec l'aval de Nicolas Sarkozy, bien sûr. Et surtout un beau costume de dauphin de Didier Lombard, taillé sur mesure.

A la tête d'Orange, Stéphane Richard se montrera toujours très diplomate avec l'exécutif, avec qui les tensions sont monnaie courante. Cela n'a rien de surprenant dans la mesure où l'Etat reste le premier actionnaire de l'opérateur historique. Mais cela a également permis à Stéphane Richard de réaliser un petit exploit : celui d'avoir préservé son fauteuil sous François Hollande et Emmanuel Macron. Il a, au fond, fallu attendre que son départ d'Orange soit acté pour le voir maugréer violemment sur l'Etat actionnaire, ce « champion des injonctions contradictoires » qui « pèse sur les initiatives stratégiques ».

« Stéphane Richard a toujours été très politique, estime notre cadre d'un opérateur concurrent. Il a aussi un énorme besoin de reconnaissance, ce qui le pousse à surcommuniquer. » En décembre 2017, alors en campagne pour renouveler son mandat, Stéphane Richard réalise un joli coup en animant une conférence privée avec Barack Obama, dans la capitale, devant le Tout-Paris des affaires et politique. « Je suis dans mes petits souliers », souriait-il quelques semaines avant sur France Inter, pas peu fier de se retrouver ainsi sous le feu des projecteurs.

« Apporter une connectivité de qualité, c'est la base »

Son image, Stéphane Richard y fait particulièrement attention. L'épisode de la fusion ratée avec Bouygues Telecom, en 2016, l'illustre. Le deal était complexe : il nécessitait l'implication de SFR et de Free, lesquels devaient racheter des actifs pour satisfaire l'Autorité de la concurrence. Stéphane Richard a eu un rôle déterminant. Il était le seul à pouvoir parler avec tous les acteurs. De fait, Martin Bouygues et Xavier Niel, le patron de Free, se détestent depuis des années. Tandis que les relations entre ce dernier et Patrick Drahi, le propriétaire de SFR, sont, à ce moment-là, très tendues. Cela dit, Stéphane Richard est vite échaudé d'être présenté par les médias « comme une espèce de type qui a la langue qui pend, et qui essaye de s'agiter partout pour faire cette consolidation ». Lors d'une conférence de presse, il précise que c'est « Martin Bouygues, et pas (lui) », qui a pris l'initiative de ce rapprochement.

Après plus de dix ans à la tête d'Orange, Stéphane Richard laisse derrière lui une entreprise puissante, leader dans le paysage français des télécoms et peu endettée. Sa priorité a été de recentrer le groupe sur son cœur de métier. « Je considère que la première chose qu'on attend d'un opérateur, c'est quand même d'assurer une connectivité de qualité, fait-il valoir. C'est la base, avant de penser à tout le reste. » Or à son arrivée, France Télécom avait largement perdu en qualité de service. Sous la coupe de Didier Lombard, l'opérateur a préféré investir dans les médias, notamment dans les droits de la Ligue 1 de football - un désastre financier doublé d'un gros conflit avec Canal+ - plutôt que dans les réseaux. A ce moment-là, c'est bien SFR, et non l'opérateur historique, qui possède le meilleur réseau mobile.

Stéphane Richard met d'emblée un terme à la « convergence » entre les télécoms et les médias. Un modèle à la mode, mais dans lequel il n'a jamais cru. Il investit dans le mobile, où Orange reprend rapidement le leadership. Puis met le paquet dans le déploiement de la fibre. Le choix est payant. « Cela nous a permis de reconquérir beaucoup de positions, notamment à Paris et dans les grandes villes où nous perdions, jusqu'alors, des parts de marché, se rappelle Stéphane Richard. Encore aujourd'hui, les marchés restent dubitatifs sur le retour sur investissement de la fibre... Mais je pense que nous aurions été en très grande difficulté si nous n'avions pas agi ainsi. »

Orange a bien résisté au séisme Free

Patron de la section CFE-CGC d'Orange, Sébastien Crozier se montre plus mitigé sur le bilan du déploiement de la fibre. « Le gouvernement nous a mis une telle pression pour accélérer le chantier que nous sommes allés trop vite », affirme-t-il, regrettant de nombreuses erreurs et ratés. Notre ancien administrateur, lui, évoque un déploiement « qui se fait de manière totalement anarchique, sans aucun pilotage des sous-traitants »« Ce n'est pas propre à Orange, poursuit-il. Mais au final, vous avez un réseau de fibre avec beaucoup de malfaçons, ce qui fait craindre des coûts de maintenance élevés. »

L'autre dossier chaud que Stéphane Richard a eu à gérer concerne l'arrivée de Free, en 2012, sur le marché du mobile. En cassant les tarifs de la 3G, l'opérateur de Xavier Niel a amorcé une féroce guerre des prix. Toujours selon notre ancien administrateur, Orange s'en est bien sorti. « Ce choc a été plutôt bien absorbé, notamment grâce au travail de Delphine Ernotte [alors patronne d'Orange France, et aujourd'hui à la tête de France Télévisions, Ndlr] pour conserver les clients à valeur », affirme-t-il. D'après lui, l'opérateur historique en a chapardé beaucoup à SFR, dont la qualité de service s'était dégradée.

D'un point de vue plus stratégique, il a souvent été reproché à Stéphane Richard un certain immobilisme, notamment en matière d'acquisitions. Des critiques qu'il balaye d'un revers de main, évoquant de nombreux deals en Europe de l'Est, en Belgique, et surtout en Afrique où Orange est désormais présent dans 18 pays. Stéphane Richard aura, en revanche, échoué à consolider le marché français en fusionnant avec Bouygues Telecom en 2016. Mais difficile, ici, de lui jeter la pierre. « Honnêtement, on a fait le maximum », dit-il. Dans ce dossier, il s'est notamment heurté aux réticences de l'Etat, et notamment d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, et farouche opposant à une réduction de la concurrence.

Une diversification en demi-teinte

En Europe, Stéphane Richard a bien tenté de rapprocher Orange d'un autre cador des télécoms. Plusieurs vagues de discussions ont eu lieu avec Deutsche Telekom. Mais l'opposition de l'Etat, soucieux de garder l'opérateur dans son giron, a poussé Stéphane Richard à jeter l'éponge. Le dirigeant peut, malgré tout, s'enorgueillir d'un dernier gros deal. Alors que sa filiale espagnole était en grande difficulté depuis plus de deux ans, il a annoncé, début mars, son mariage avec son rival MasMovil. Cette opération, qui valorise la nouvelle entité à près de 20 milliards d'euros, va accoucher d'un mastodonte de l'autre côté des Pyrénées, capable de rivaliser avec l'opérateur historique Telefonica.

Sa politique de diversification, elle, est loin de faire l'unanimité. Outre les investissements d'Orange dans la cybersécurité, son incursion dans la banque n'a pas convaincu. Depuis le lancement d'Orange Bank en 2017, ce projet si cher à Stéphane Richard n'est toujours pas rentable, et a cumulé quelque 720 millions d'euros de pertes.

D'après notre cadre d'un opérateur concurrent, il a manqué à Stéphane Richard « une certaine vision, une certaine poigne, pour donner une nouvelle orientation à Orange »« Il a été un excellent pacificateur social, mais un chef d'entreprise un peu décevant, juge-t-il. On a un peu de mal à voir où il veut aller, dans un contexte où il passe son temps à rendre des comptes à Bercy, à Matignon, et à l'Elysée. La réalité, c'est que son cours de Bourse est absolument épouvantable. » Sous le règne de Stéphane Richard, le titre du champion français des télécoms a dégringolé de 16 à 10 euros.

« La Bourse n'aime pas les télécoms »

Cette critique sur le cours de Bourse fait sortir Stéphane Richard de ses gonds. « C'est vraiment un truc que je n'arrive pas à avaler », s'emporte le patron. « C'est le commentaire le plus superficiel, le plus amateur, le plus misérable et, quelque part, le plus biaisé qu'on puisse faire de la situation », canarde-t-il. « Oui, le cours de Bourse n'est ni gratifiant, ni satisfaisantMais la réalité, c'est que la Bourse n'aime plus les télécoms depuis des années. Est-ce de ma faute ? Certainement pas. » Le dirigeant argue qu'Orange n'est pas le seul à faire les frais de ce désamour. Il est vrai que ses homologues européens Vodafone, Telecom Italia ou Telefonica ont tous vu leur titre plonger ces dernières années. C'est d'ailleurs cette aversion des investisseurs pour un secteur contraint de dépenser des milliards d'euros dans la fibre, la 4G ou la 5G qui a poussé Free et SFR à faire récemment leurs adieux aux marchés.

Si Stéphane Richard quittera officiellement toutes ses fonctions chez Orange le 19 mai prochain, en cédant la présidence du groupe à Jacques Aschenbroich, il entend conserver, d'une manière ou d'une autre, un pied dans les télécoms. « Je garderai certainement un lien fort avec ce secteur, mais peut-être plus dans un rôle de conseil ou de banquier d'affaires », affirme-t-il. Une reconversion où, personne n'en doute, son réseau fera encore des miracles.

Pierre Manière

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